Le présent d'hier et de demain

Réflexions sur les archives et surtout l'archivistique à l'ère du numérique (et parfois même un peu de poésie) – Anouk Dunant Gonzenbach

Le cycle de vie du document électronique, suite de la discussion

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Les commentaires sont nombreux et la question même relayée sur linkedin, il faut croire qu’elle n’est donc pas complètement inutile. Pour reprendre un peu ce qui s’est dit :

Je ne crois pas qu’il s’agit de balayer ce qui fonctionne bien, car le cycle de vie en 3 âges fonctionne bien pour le papier. Mais je trouve qu’il n’est vraiment pas si simple de transposer dans le monde numérique les notions d’archives courantes et intermédiaires et surtout de les faire appréhender par des interlocuteurs qui n’ont qu’un souhait, comprendre rapidement de quoi il retourne, puis de concrètement les mettre en application. Et notre souhait à nous, archivistes, est de faire passer le message au monde administratif (ou aux personnes qui travaillent en amont du sort final des documents) de manière simple afin que des processus adéquats de gestion des documents électroniques soient mis en place. La question se pose donc pour les deux premiers âges.

Si on parle ici uniquement de la gestion du document numérique pendant sa durée de vie au sein de l’administration, on se heurte donc à ce problème de différence entre durée de vie courante et intermédiaire. Par quoi le passage d’un document d’une GED par exemple à un SAE est-il déterminé? Est-ce par la fin de sa durée d’utilité courante? Cette solution est-elle applicable ?

Dans la pratique, le document numérique n’encombre pas le bureau et il n’y a pas la nécessité de gagner de la place immédiatement visible (ce qui est un avantage immédiat dans le monde papier pour l’utilisateur). Pourtant nous nous devons de nous occuper de ce document au même titre qu’un document papier pour qu’il soit correctement géré du point de vue de son cycle de vie. Dans le cas de l’utilisation de la fin de la durée d’utilité courante pour déterminer la transition au stade d’archive intermédiaire, le seul moyen de revenir sur ce document est alors la métadonnée indiquant la durée de sa vie courante qui permet alors à  l’utilisateur ou à l’administrateur de déclencher sa mise en SAE si l’automatisation n’est pas prévue. Est-ce pratique? La question est ouverte.
 
A mon sens, le jalon déclencheur n’est pas la fin de la durée de vie courante mais en amont la validation du document. Si le document est dès sa validation transféré dans le SAE (ou indiqué comme validé si le SAE est intégré à la GED et ainsi devenir archivé au sens SAE), on peut lors de ce transfert directement le convertir en un format pérenne comme le PDF/A, lui adjoindre les métadonnées nécessaires, comme sa durée de vie administrative et légale et son sort final et le cas échéant le renommer selon les règles en vigueur dans l’institution ou l’administration. Les avantages sont visibles pour l’administration (destruction prévue dès le début des 90 à 95% des documents qui ne seront pas conservés de manière définitive et donc éviter le problème de surcharger les serveurs).

Il s’agit encore affiner le processus du passage dans le SAE. A des fins pragmatiques, juridiques, financières, et patrimoniales, seuls les documents à valeur probante pourraient être transférés dans un SAE car il ne sert à rien de construire des usines à gaz pour les documents qui ne le nécessitent pas. Et là, on tombe dans l’approche anglo-saxonne du cycle de vie de l’information.

Le passage vers la plate-forme de pérennisation à long terme en revanche me semble poser moins de problèmes. Idéalement lors de leur création, ou de leur validation, une métadonnée indique le sort final du document. A ce terme, le document est soit détruit soit transféré (ou solution d’échantillonnage) sur la plate-forme de pérennisation construite selon le modèle OAIS. La fonction d’évaluation, qui intervient dès la création du document, reste et doit rester un point crucial de notre profession (il faudra revenir sur ce point). Le jalon déclencheur pour cette dernière opération est donc la fin de la DUAL dans notre modèle. Si tout est planifié dès le début, ce versement des documents électroniques pour leur archivage à long terme (ou définitif, ou pérenne) sera facilité (au lieu d’être impossible). Les archivistes sont donc gagnants si tout a été organisé dès le début.

La discussion sur la pertinence de la théorie des trois âges appliquée aux documents numériques est intéressante puisqu’elle soulève des avis contradictoires et que le débat est nourri. Elle est indispensable entre professionnels, mais je pense que nous nous devons de présenter les choses de manière simple à nos interlocuteurs, typiquement du monde informatique, si nous voulons avancer dans nos projets, qu’ils soient relatifs à la gestion des documents électroniques pendant leur durée de vie administrative et légale (DUAL) ou d’archivage à long terme. En me réjouissant de la suite du débat!

Les archivistes viennent de l’espace: comment communiquer avec le monde des DSI (1)

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Je reste au niveau mains dans le cambouis et concret: on a tous du mal à expliquer nos projets  numériques à ceux qui ne proviennent pas de notre milieu professionnel restreint  (enfin, c’est ce qu’il me semble au fil des discussions avec des collègues d’ici et d’ailleurs). Un de mes problèmes est d’expliquer la différence entre un projet de gestion des documents électroniques au niveau du records management et un projet d’archivage électronique à la OAIS. Première question, les termes “archives” et “archivage”.

Entre nous, on peut discuter des termes à utiliser entre records, archives, documents, mais finalement les autres, ça leur est un peu égal. Mais peut-on, pour faire mieux passer le messages, laisser tomber les mot “archives” et “archivage” lorsque l’on parle de gestion des documents électroniques pendant leur durée de vie au sein d’une administration (ou DUAL)? On pourrait être tenté de le faire.

Le problème, c’est que le mot “archivage” est utilisé par les fournisseurs de SAE, interlocuteurs des DSI, au sens “archivage 20 ans, valeur probante". Donc si on ne veut pas semer la confusion, je pense qu’il vaut mieux préciser ces termes  que de les éviter.

J’ai résolu cette question de la manière suivante: employer le terme “archivage” pour la conservation des documents pendant leur DUAL, en expliquant que c’est du “stockage amélioré”, dans des systèmes permettant de garantir leur authenticité, intégrité,  fiabilité et accessibilité, et donc  leur valeur probante.

Et employer le terme “archivage à long terme” pour la petite proportion des documents qui sera conservée sur une plate-forme de pérennisation  OAIS.

En martelant, shéma à l’appui, d’un côté “archivage “ et de l’autre “archivage à long terme”, ces notions commencent à être entendues. On y croit.

Les mains dans le cambouis et la théorie des 3 âges

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Il y a bientôt deux ans, en août 2010, deux archivistes (archives online) bloguaient un article un peu iconoclaste sur la théorie des 3 âges  remise en cause par l’archivage électronique, en se basant sur  une conférence de Marcel Cayla, “La théorie des trois âges en archivistique. En avons-nous toujours besoin ?” (Conférence prononcée le Jeudi 2 décembre 2004, Conférences de l’Ecole des Chartes).

En mars 2012, Michel Roberge dans son billet sur la théorie des 3 âges revisitée  propose carrément “un nouveau modèle conceptuel de gestion du cycle de vie en deux temps : une durée de vie utile (en nombre total d’années ou sur une base temporelle plus petite – mois, semaines ou jours -, selon les besoins) et un sort final lorsque les documents et les dossiers n’ont plus d’utilité pour la gestion des activités qu’ils documentent : à détruire, à conserver en totalité comme documents d’archives ou à trier (conserver les documents ou les dossiers ayant une valeur d’archives et détruire le reste).” Daniel Ducharme répond à ce billet par le commentaire suivant: “Déjà, lors d’une conférence au congrès de l’AAQ en 2006, j’ai remis en question le cycle de vie tel qu’appliqué au Québec, notamment dans le milieu des organismes publics soumis à la Loi sur les archives. […] Personnellement, je préconise le modèle de la DUAL: durée d’utilisation administrative et légale.”

De mon côté, j’en étais arrivée à cette conclusion deux semaines auparavant, lors de la préparation d’un exposé présentant deux projets complémentaires et distincts: un projet de gestion des documents électroniques au sein d’une administration, suivi par un projet d’archivage électronique à long terme des documents de cette administration évalués comme historiques. Pour expliquer à des responsables informatiques et des chefs de projet le cycle de vie du document papier, tout est simple: les documents actifs sont conservés dans les bureaux pendant leur durée de vie administrative, lorsqu’ils ne sont plus utilisés ils sont descendus dans les caves jusqu’à la fin de leur durée de vie légale, puis ils sont soit détruits soit versés aux archives. Facile.

Même exercice pour expliquer le cycle de vie d’un document électronique: impossible. Le document électronique est créé et reste dans une arborescence, une GED, un SI jusqu’à sa destruction (si les choses sont bien prévues dès le départ) ou son versement. Comment faire un shéma simple alors? A mon sens, la distinction se fait entre les documents dont il faut garantir la valeur probante et les autres. En effet, il faut pouvoir garantir pour ces documents leur authenticité, leur intégrité, leur fiabilité et leur exploitabilité. Il y aurait donc une durée de vie administrative et légale (DUAL) pendant toute la vie du document électronique au sein de l’administration, à ce terme le document sera détruit ou versé sur une plateforme d’archivage pérenne. A l’intérieur de la DUAL, les documents dont il faut garantir la valeur probante doivent être versés dans un SAE qui peut être inclus ou joint à une GED ou un SI. Ce qui donne ceci:

 

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CC-BY Schéma mis à jour le 13 février 2015

Faut-il utiliser dès lors la notion de records continuum? Je n’arrive pas encore à répondre à cette question. A première vue, la littérature relative à  ce sujet introduit le concept du records continuum déjà pour les documents papiers. Certains écrivent même que dès lors que l’on passe au numérique, il n’y a pas besoin de déterminer un sort final dès la création du document (!!). La question reste ouverte, mais ce qui m’importe en ce moment, c’est surtout de trouver un moyen simple et compréhensible d’expliquer les choses à un public de non-archivistes plutôt que de réfléchir à des concepts. Mais ça reste à creuser.