Par Anouk Dunant Gonzenbach
«Les archives permettent de raviver des mémoires. Le corps, lui, a de toute façon mémorisé».
Le Corps Archive, un film réalisé par Robin Harsch d’après une proposition chorégraphique de Manon Hotte. A première vue, il peut sembler étrange d’allier corps, archive et danse. Alors pourquoi ce film ?
En 2022, l’association des archivistes suisses (AAS) a fêté son centième anniversaire. Plusieurs événements ont rythmé cette année, par exemple des journées portes ouvertes, la promenade d’une boite d’archives à travers la Suisse ou la diffusion d’un timbre-poste. En plus de tout cela, l’association a invité pour cette anniversaire la chorégraphe Manon Hotte à créer une œuvre posant une réflexion sur la manière dont les archives peuvent être utilisées ou archivées autrement.
Pourquoi Manon Hotte ? La caractéristique du travail de Manon est la création interdisciplinaire performative, plus spécifiquement avec les enfants et adolescents danseurs, avec lesquels elle a réalisé plus de trente créations. Ces dernières années, elle s’intéresse plus particulièrement à la création initiée par des documents d’archives et par l’écriture, et nous travaillons ensemble, avec les Archives d’Etat, depuis plusieurs années sur ce sujet (voir ici le projet Création, semis et palabres).
Manon a ainsi créé une œuvre chorégraphique à partir de la rencontre entre danse et archives. Elle a fait appel à une ancienne élève, Élodie Aubonney, aujourd’hui danseuse-chorégraphe. Ensemble elles ont abordé le corps archive, un corps dont chaque pli a été sculpté par l’histoire de toutes les productions dansées et par sa propre histoire. La rencontre avec deux archivistes des Archives d’Etat leur a permis de se confronter aux histoires tout aussi personnelles contenues dans les documents des Archives d’Etat de Genève. De ces rencontres sont nées des danses abordant des questions de maternité, d’identité, de transmission, de vie et de finitude.
Tout ce processus a été suivi et filmé par Robin Harsch. Robin, réalisateur genevois bien connu, qui a réalisé plusieurs court-métrages de fiction et de télévision dont Federer et moi en 2006 qui a remporté le prix du meilleur court-métrage suisse. Il a beaucoup travaillé avec Manon Hotte et mené plusieurs ateliers de réalisation, notamment avec des jeunes danseuses et danseurs.
Pour les Archives d’Etat, mener de tels projet est dans la logique de nos réflexions. En effet, cette démarche s’inscrit dans l’actualité archivistique actuelle, notamment dans une nouvelle conception de l’exploitation des archives qui est celle de l’usage qu’une société fait de ses documents. La profession s’interroge actuellement, notamment dans le milieu académique archivistique, sur la matérialité des archives, l’émotion qu’elles transmettent et à partir de là la manière de repenser l’objet archivistique. La proposition artistique « Le Corps Archive » s’inscrit donc en continuité directe avec cette prise en considération du contexte dans les processus de production, de gestion et de diffusion de ce patrimoine. Et de l’émotion, il y en a eu pendant cette aventure.
Pour nous les archivistes, c’est un grand bonheur également de rendre audible et de transmettre autrement les voix de celles et ceux qui sont contenus depuis toujours dans les documents, parce que les archives, c’est la vie des gens, et notre mission est de la conserver.
Le film est visible sur le site de l’AAS