Par Anouk Dunant Gonzenbach
Florilège de phrases, de réflexions, de découvertes, léger reflet de tout ce qu’il y a derrière chaque mot, puissance d’une profession qui s’engage,
A l’extérieur, la place Sainte-Anne, ses étudiantes et étudiants, cette jeunesse, le manège, les terrasses au soleil (ou pas au soleil),
Dedans, dans le couvent des Jacobins, mille archivistes « énervés », selon les étudiant.es d’Angers, et Yanis qui est tout le temps en retard, mille archivistes qui ne savent plus où donner de la tête, il y a toujours trois sessions en parallèle et tous les ateliers,
Captation de quelques impressions, à chaud, le fond est derrière.
Le thème, « Avec attention. Archives, archivistes et usagers ». « L’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité », Simone Weil avec nous dans le grand auditorium dès le début.
Une marée d’archivistes en marinière.
Sourcer des informations pour éclairer des vérités ou des contre-vérités, l’actualité du dehors est dedans, beaucoup. Bruno Ricard : « le rapport à la vérité est plus fragile qu’autrefois », lutte contre la désinformation, références aux fausses nouvelles, à la question de la diplomatique dans l’immédiateté. L’Outre-Atlantique pèse, je crois que cela nous fait un bien fou d’en parler ensemble, tous ensemble, entre professionnel.les de l’information.
Autour du cou, pour tenir les badges, des colliers à graines. Des bombes à graines en devenir. Des milliers de fleurs qui repartent aux quatre coins de la France et de Navarre, et même plus loin, et nous les sèmerons en Suisse. Et Yanis qui est tout le temps en retard.
Le numérique, la technicité (j’ai moins assisté), le risque de devenir datadriven, more data less process. Mais non, c’est dit, sur scène, il faut ralentir. Réflexivité, de plus en plus. Peut-être que de forum en forum, c’est une des choses qui évolue, le pas de côté sur les possibilités du numérique, sur ses enjeux, sur la manière de l’utiliser. A creuser.
Place Sainte-Anne, à la fin de la journée, partager une bière avec des collègues tout juste rencontrés, de Lyon à Poitiers sur une terrasse, ce constat, toujours, mais on vit la même choses, les mêmes questions, les mêmes difficultés dans la communication de dossiers à des personnes concernées, le même engagement (encore), on veut répondre à la personne qui demande, on veut arrêter qu’elle soit baladée d’un service de l’administration à un autre, on prend sur nous, on dépasse notre périmètre. Les archivistes en goguette qui se parlent en vérité, direct.
Aborder l’archive comme une infrastructure (il faut que tout bouge pour que rien ne change) , Anne-Laure Donzel et Julien Benedetti ouvrent des perspectives. Citent le philosophe Marcello Vitali-Rosati, « choisir le low tech n’est pas la solution de quelqu’un qui ne serait pas assez compétent pour utiliser une technologie plus avancée, mais au contraire le choix d’une personne très compétente ».
La galette saucisse, la découverte d’une ville, la générosité de la réception, l’organisation incroyable, l’engagement de celleux qui ont permis cela, la réception dans les salons de l’Hôtel de Ville, avec un discours engagé qui vient des tripes, on peut le relever, une exception je dirais parmi tous les politiques que l’on a entendu dans ce genre d’exercice.
Le couvent des Jacobins, on valide l’esprit du lieu, comme Claire Larrieux (immense merci à elle et à son équipe). Les tooteureuses se retrouvent dans le jardin du cloitre. Photo. En marinière. Magique.
La question de l’engagement, présente sur tous les podiums, pendant toutes les pauses. Nous avons un métier propice à l’engagement et aux interrogations. « Il est impossible de ne pas s’engager vu notre métier et notre caractère », Jeanne Mallet le dit pour nous, « engagé – enragé ». Très belle table ronde sur l’engagement donc, les freins sont évoqués : le devoir de réserve et de neutralité. Réfléchir à l’activisme, aux archives en tant qu’objet politiques, les luttes sont politiques, on attend vraiment le texte de Céline Guyon, Hélène Chambefort et leur équipe.
Les conditions d’accès aux archives, un marqueur fort du degré de démocratie.
Ça revient partout, le rôle politique, le rôle politique des archivistes, « on est pas que des techniciennes et des techniciens », martèlent Christine Martinez et les « treize Occitans ».
Découvrir une ville avec des archivistes, je ne sais pas si on peut avoir plus de chance. De la manière dont manifestent les marins pêcheurs aux explications sur les Champs Libres, des portes mordelaises à la révision du procès Dreyfus, de Condate à la galette saucisse (je suis allée tester samedi sur le marché des Lices, je valide).
Réparer par les mémoires.
Créer du sens. Créer du sens sur le disensus, c’est plus compliqué que sur le consensus où on risque de créer du faux sens. Alors la prison est un bon exemple pour cela. Attention réciproque entre archivistes, historiennes et professionnel.es de la santé en détention. Le projet éclairant de Fanny Le Bonhomme.
On danse ensemble, lalalalalalalalalalaleno, le cercle circassien, le galop nantais inoubliable, on danse en groupe, moment de joie.
Le désir d’archives, l’usage artistique des archives, c’était mon sujet cette fois alors je m’y arrête un peu car se pose à un moment la question de l’objectif, qui serait de donner grâce aux artistes l’accès aux archives au plus grand nombre. Mais peut-on s’arrêter à cette définition sans faire un pas plus loin, pourquoi, pour finir, ce besoin de donner accès au plus grand nombre ?
Une réponse à chaud. Un des grands moments de ces trois jours, la pièce « Jouer l’archive, octobre-décembre 1940 » . Nous sommes autour d’une table avec les comédiens, c’est assez intime, une quarantaine de spectateurs. Nous somme le 16 décembre 1940 à Vichy. Des hauts fonctionnaires, issus de tous les départements ministériels, débattent autour de nous, en vraie séance, des modalités d’application de la loi du 3 octobre 1940 portant sur le statut des juifs. Trois jours plus tard, toute personne « regardée comme juive » se verra exclue de la fonction publique. Les dialogues proviennent des procès-verbaux.
Nous sommes glacés, fascinés. Une pièce salutaire. Parce que nous archivons le passé, nous archivons le présent, et ça recommence, en boucle, l’humain n’apprend rien. Les politiques expriment des excuses publiques, des mémoriels sont construits, et ça recommence, et nous archivons encore et encore. Alors mettre au grand jour le pire par une pièce de théâtre immersive construite de manière si intelligente, c’est nécessaire, c’est une bulle d’espérance, une transmission salutaire. Donner accès aux archives au plus grand nombre par le théâtre par la danse, par la photographie, par l’exploitation artistique, pour dénoncer, pour rappeler, pour avancer.
Comme poésie, aussi. « Et je me fis nomade », Karelle Ménine donne la voix à Isabelle Eberhardt, sur les murs de la ville. Emotions.
Le lien est fait, Agnès Vatican le souligne à la cérémonie de clôture, parce que c’était ressorti partout. « Articuler la technique avec les émotions ». Allier la technicité aux émotions. Ou le contraire.
Et Yanis, on ne sait pas s’il sera toujours en retard. Mais je sais que cette équipe de jeunes est formidable. Que prendre le temps, ces trois jours, pour se perfectionner, se mettre à jour sur les recherches et projets en cours, pour creuser encore et toujours la question du sens de notre profession au regard des actualités techniques et sociales, est essentiel. Qu’après 25 ans dans cette profession, je suis plus convaincue que jamais. Que cette communauté est exceptionnelle. Sur le terrain. Engagée. Qu’elle paie régulièrement de sa personne. Merci du fond du cœur à l’Association des archivistes français (AAF) de permettre ces rencontres.
Comme émotion, le slam de poésie archivistique, j’ai versé une larme.
Avec attention.





30 mars 2025