Le présent d'hier et de demain

Réflexions sur les archives et surtout l'archivistique à l'ère du numérique (et parfois même un peu de poésie) – Anouk Dunant Gonzenbach

Les archivistes viennent de l’espace: comment communiquer avec le monde des DSI (2)

Par Anouk Dunant Gonzenbach

N’hésitons pas à expliquer ce que font les archivistes

Petite réflexion partagée pré-vacances :

Nous partons souvent du principe que nos interlocuteurs savent ce que nous faisons et forts de ce faux principe nous omettons de le leur expliquer.
Le malentendu s’installe alors lorsque l’on se trouve sur le sujet de l’archivage à long terme. Car pour notre interlocuteur qui vient du monde de l’informatique le long terme dure entre 3 et 5 ans, voire 20 ans quand on insiste sur la valeur légale d’un document né-numérique.

Il est loin de s’imaginer que pour nous, provenant de l’espace, le long terme se compte en centaines d’années. Même si nous, en tant qu’archivistes,  on ose à peine croire à cette durée en terme d’archivage électronique, mais c’est un autre problème: en effet la définition officielle de l’archivage à long terme en Suisse, telle que définie par le Centre de coordination pour l’archivage à long terme des documents électroniques CECO/KOST précise que : “l’archivage à long terme des documents électroniques remis à des Archives a pour objectif de faire en sorte que les documents électroniques restent durablement compréhensibles et  que leur authenticité, leur intégrité et leur accessibilité soient garanties. Par durablement, on entend une durée illimitée, au minimum plusieurs générations de matériel et de logiciels informatiques”. 

Je pense donc qu’il est indispensable lors de nos premières rencontres avec un groupe d’interlocuteurs (chefs de projets SI, collaborateurs des DSI, dirigeants..) de faire un topo sur notre métier et nos missions. Un truc qui fonctionne assez bien au vu des réactions souvent émues est de projeter l’image d’un très ancien document, par exemple un parchemin (s’il est conservé dans notre propre institution c’est le succès garanti). Et ce qui est frappant, c’est de trouver une charte, par exemple, qui est signée par un signe de validation officiel écrit ou dessiné ou qui comporte un sceau.

image

CH AEG P.H. 1, environ 1100 (CC0)

Et là, on peut démontrer que cette charte, vieille de mille ans, garde toute sa valeur légale, qu’elle est en quelque sorte autoportante.  Et que nous devons assurer la même conservation pour les documents électroniques.  Je trouve plus facile la discussion qui s’ensuit, car nous sommes dès lors tous sur le même niveau de compréhension.

Le coeur du problème et de la solution: l’authenticité du document électronique

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Voici un thème du colloque “L’écrit électronique : les règles de l’art” sur lequel j’aimerais revenir.

Ce colloque, organisé le 1er juin 2012 à Bruxelles par les Archives de l’Etat Belge  et le Centre de recherche information, droit et société (crids) des Facultés Universitaires Notre  Dame de la Paix (FUNDP) de Namur a réuni les intervenants internationaux experts sur l’archivage électronique (entre autres Luciana Duranti, Marie Demoulin, Jean-François Blanchette et Françoise Banat-Berger). Notre collègue Le regard de Janus a fait un compte rendu détaillé sur son blog des conférences de la journée.

Je mets en avant un point clé à mon sens de cette journée et, c’est une évidence, du défi de l’archivage électronique, la question de l’authenticité.
La phrase centrale a été prononcée par Luciana Duranti : si on peut avoir confiance en le système dans lequel le document est conservé, alors on peut faire confiance au document. In fine, c’est une question de confiance. En effet, quand on admire une œuvre d’art dans un musée, on doit bien faire confiance en l’institution pour être sûr que nous avons bien devant les yeux l’œuvre originale. Et cette confiance se base sur les processus du musée qui assurent que ce n’est pas une copie qui est exposée.
La deuxième affirmation centrale : pour garantir l’authenticité des documents, la solution se trouve à 90% dans l’organisationnel (procédures et processus) et à 10% seulement dans les outils techniques (d’où l’importance qui en découle d’avoir les bons outils).
Françoise Banat-Berger a présenté les points de la politique d’archivage sécurisé (P2A) relatifs à cette notion d’authenticité et qui rejoint les travaux du groupe InterPares : pour évaluer l’authenticité d’un document d’archives, il faut établir son identité et démontrer son intégrité.
On entend par identité les attributs qui caractérisent le document et le distinguent d’une manière unique des autres documents.
L’intégrité demande le respect cumulé de 3 éléments : la lisibilité du document, la stabilité de son contenu informationnel et la traçabilité des opérations sur ce document.
Le défi est donc dans la rédaction et la mise en œuvre de ces processus et procédures, décrivant les systèmes d’information, les droits d’accès, les métadonnées, les formats, les règles de nommage, les fichiers logs, l’horodatage, etc. Il n’est plus possible de douter de la nécessité de la présence de l’archiviste dès le projet de création d’un nouveau SI et de la pluridisciplinarité nécessaire à ce type de projet (archivistes, records manager, informaticiens, directeurs SI, directeurs et collaborateurs « métier »). En tant qu’archivistes nous n’en doutions pas, mais cet état de fait, déjà mis en application dans le secteur bancaire ou les assurances, peine à faire son chemin dans les institutions publiques je trouve, surtout devant la complexité des systèmes d’information. J’ai bien aimé la phrase de Françoise Banat-Berger qui reflète si bien la situation dans les SI : « aujourd’hui, plus personne ne se sent responsable car plus personne ne voit rien ».
La législation peine également à suivre en matière de document numérique, on le voit dans les cas belges et français, ou le vocabulaire n’est pas encore fixé et les définitions parfois manquantes.
Pour l’application technique à travers les outils, on retombe sur la question des 3 âges des documents. Les documents sont créés au mieux dans une GED, qui permet de les versionner et de les retrouver puis versés dans un outil RM (une GED qui intègre la gestion du cycle de vie et qui ne contient que les documents validés). Ou un seul outil regroupe ces deux fonctions. Mais pour être conservés plus de 10 ans avec garantie de l’authenticité, il faut transférer alors ces documents dans un système OAIS qui garantit leur intégrité, traçabilité, etc, valide leur format et effectue les migrations. Ce système peut-il être mis en place au sein de chaque service/département d’une administration, ce qui est coûteux et compliqué ? faut-il le mutualiser au sein d’une administration ? Le placer au niveau des archives définitives, qui doivent alors gérer également les destructions à la fin du cycle de vie (solution des Archives départementales de l’Aube en France et bientôt en production pour les Archives fédérales suisses) ? Chez un prestataire externe (avec la question délicate de données personnelles) ? Dans le cloud (étude en cours d’Interpares à suivre) ? Je crois qu’on est toujours à la recherche du ou des schémas idéaux…