Le présent d'hier et de demain

Réflexions sur les archives et surtout l'archivistique à l'ère du numérique (et parfois même un peu de poésie) – Anouk Dunant Gonzenbach

Archives et trauma

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Dans le cadre du troisième module du Master of advanced studies in archival, library and information science (MAS-ALIS) consacré au thème de la responsabilité sociale, éthique et politique de l’information, j’ai été invitée par Georg Büchler  et Amélie Vallotton Preisig à parler du traumatisme que peuvent vivre les archivistes confrontées à des documents concernant des personnes survivantes de traumatismes. Il s’agit à ma connaissance de la première fois que le sujet est abordé dans la formation archivistique suisse.

La prise de conscience que les archivistes peuvent subir un traumatisme vicariant (ou fatigue de compassion) lorsqu’ils et elles sont confrontés de manière intense et répétée à ce type de documents émerge dans notre communauté professionnelle. Le traumatisme vicariant est un état résultant de changements profonds subis par le ou la professionnel.le qui établit des rapports d’empathie avec les survivants de traumatismes et est exposé à leurs expériences.

Nos collègues d’Australie, et particulièrement Nicola Laurent, présidente de l’association des archivistes australiens, avec laquelle j’ai eu plusieurs échanges, mettent en place des formations et ont ouvert un site internet qui a pour vocation de mettre en lien une «Trauma-informed Archives Community of Practice». Les réflexions sont également nourries au Canada.

Je suis convaincue, ayant vécu moi-même un traumatisme vicariant dans le cadre professionnel, que nous devons développer ce type de formation pour assumer au mieux nos responsabilités envers la communauté archivistique et nos publics. Il est nécessaire de partager les enseignements tirés de ces expériences et les solutions à mettre en place, par exemple le dispositif mis en place aux Archives d’Etat de Genève. Le MAS-ALIS a fait le premier pas.

Quelques références:

K. Wright, N. Laurent, “Safety, Collaboration, and Empowerment”, in Archivaria 91, 2021.

A Dunant Gonzenbach, P. Flückiger, «Communication de dossiers personnels aux victimes. Un retour d’expérience suisse», in Un dossier pour se (re)construire? Archives et enjeux d’identités, V. Fillieux, A. François, G. Mathieu, M. van Eeckenrode (éd.), 2022, pp.217-233.

L’archiviste face à l’infini et à l’éternité: émerveillement, défi, conviction et diversité

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Lors des Welcome Days 2023 de l’Université de Genève, j’ai été invitée à parler de mon parcours et de ma profession. J’ai profité de cette occasion pour refaire le point, pour moi-même, presque dix ans après mon premier cri du coeur jeté par écrit.

 « L’archive est une brèche dans le tissu des jours, l’aperçu tendu d’un événement inattendu. En elle, tout se focalise sur quelques instants de vie de personnages ordinaires, rarement visités par l’histoire, sauf s’il leur prend un jour de se rassembler en foules et de construire ce qu’on appellera plus tard de l’histoire. L’archive n’écrit pas des pages d’histoire. Elle décrit avec les mots de tous les jours le dérisoire et le tragique sur un même ton », écrit magnifiquement et pour toujours l’historienne Arlette Farge.

Le goût de l’archive, je l’ai reçu à l’Université je crois grâce à mes études en histoire nationale et régionale ainsi qu’au séminaire de paléographie. J’en ai fait ma profession. Archiviste.

Pourquoi je l’aime toujours autant, cette profession, après 21 ans ?

Tout d’abord par émerveillement. A l’Université, j’ai eu la chance de choisir des séminaires d’histoire qui se déroulaient aux Archives d’Etat. C’est là que j’ai succombé à l’attrait de ces documents qui ont traversé les siècles. Un séminaire de paléographie plus tard, donné par une professeure exceptionnelle qui nous a permis d’apprendre à lire les écritures des 16e et 17e siècles comme si on lisait le journal, j’ai pu me lancer dans les registres de juridictions civiles du 17e siècle pour une recherche sur les testaments établis par des femmes enceintes, puis me plonger dans dans les sources de l’Eglise de Genève et de la Réforme. Quel bonheur par la suite de rester proche de ces documents, de leur matérialité et de leur contenu, de les conserver, de les mettre en valeur et également de prévoir les archives de demain.

Par défi ensuite. Il y a tant à faire puisque tant a été et continue à être produit, à conserver pour toujours. Comme le formule si bien l’ethnologue Anne Both1, les archivistes sont confrontés à une masse de documents qui augmente de façon exponentielle et à leur conservation qui est vouée à la perpétuité. En gros, nous sommes face à l’infini et à l’éternité. Et voilà ce défi multiplié par le né-numérique : un parchemin se conserve mille ans sans prendre un pli, une donnée née-numérique a une durée de vie d’une vingtaine d’années. A nous de trouver les parades, les solutions, nous voilà également geeks.

Par conviction, aussi. Au début, parfois, les doutes. Ce métier est-il utile ? Bien sûr, être archiviste, cela ne fait de mal à personne et c’est sans doute mieux que de travailler pour un fabricant d’armes ; mais ne serait-il pas plus concret de mettre de l’énergie au service de la Croix-Rouge, d’une ONG, de projets de développement durable ? Et puis, la découverte de la foi: les archives sont indispensables. Elles sont garantes d’un état de droit et sont appelées à justifier les droits des citoyennes et citoyens et des institutions. Ce n’est pas pour rien que les archives sont une menace pour les régimes totalitaires, ce qui est très bien illustré dans cet extrait de 1984 d’Orwell : « Jour par jour, et presque minute par minute, le passé était mis à jour. On pouvait ainsi prouver, avec documents à l’appui, que les prédications faites par le Parti s’étaient trouvées vérifiées. […] L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. […] la plus grande section du Commissariat aux Archives, bien plus grande que celle où travaillait Winston, était simplement composée de gens dont la tâche état de rechercher et rassembler toutes les copies de livres, de journaux et autres documents qui avaient été remplacées et qui devaient être détruites ». La Déclaration universelle des archives, adoptée en 2011 par l’Unesco, souligne le rôle essentiel que jouent les archives dans la transparence administrative, la responsabilité démocratique, la protection des droits et la construction de la mémoire individuelle et collective. Sans document d’état civil, je ne suis personne. Sans le registre foncier, je n’ai pas de bien. Les archivessont vraiment l’un des piliers d’une démocratie.

Et pour la diversité. Notre profession contient mille facettesLe contact avec les chercheuses et les chercheurs, les historiennes et historiens, les journalistes, les étudiantes et étudiants, et chaque personne- peu importe sa profession- qui a une question, que nous orientons dans les fonds pertinents. Beaucoup de contacts humains, donc. Les recherches pour répondre aux diverses questions sur l’origine des noms de rue, la biographie d’une personne pas trop connue, un bâtiment, une famille, un syndicat, une association, nous sommes des détectives du passé. Il y a également le document inédit sur lequel on tombe par hasard. Les journées du patrimoine lors desquelles les Archives font le plein. Le petit update que l’on s’accorde sur telle période historique qui nous échappe un peu. La fascination pour un fonds que l’on découvre dans un clocher. L’organisation de forums qui rassemble la communauté professionnelle de la région. La refonte du site web. La présentation des nouvelles acquisitions de la bibliothèque. L’exposition à monter, de la rédaction des légendes au nettoyage des vitrines. Les danseuses en résidence dans les magasins d’archives. La curiosité n’est pas près d’être rassasiée, et je crois que cet inventaire ne va jamais s’arrêter…

C’est comme la vie, c’est la vie. Etre ancrée, toujours, être ancrée dans le présent de hier et de demain.

Registre des enfants trouvés

Le Corps Archive. Un film né de la rencontre entre documents historiques, danseuses et archivistes

Par Anouk Dunant Gonzenbach

«Les archives permettent de raviver des mémoires. Le corps, lui, a de toute façon mémorisé».

Le Corps Archive, un film réalisé par Robin Harsch d’après une proposition chorégraphique de Manon Hotte. A première vue, il peut sembler étrange d’allier corps, archive et danse. Alors pourquoi ce film ?

En 2022, l’association des archivistes suisses (AAS) a fêté son centième anniversaire. Plusieurs événements ont rythmé cette année, par exemple des journées portes ouvertes, la promenade d’une boite d’archives à travers la Suisse ou la diffusion d’un timbre-poste. En plus de tout cela, l’association a invité pour cette anniversaire la chorégraphe Manon Hotte à créer une œuvre posant une réflexion sur la manière dont les archives peuvent être utilisées ou archivées autrement.

Pourquoi Manon Hotte ? La caractéristique du travail de Manon est la création interdisciplinaire performative, plus spécifiquement avec les enfants et adolescents danseurs, avec lesquels elle a réalisé plus de trente créations. Ces dernières années, elle s’intéresse plus particulièrement à la création initiée par des documents d’archives et par l’écriture, et nous travaillons ensemble, avec les Archives d’Etat, depuis plusieurs années sur ce sujet (voir ici le projet Création, semis et palabres).

Manon a ainsi créé une œuvre chorégraphique à partir de la rencontre entre danse et archives. Elle a fait appel à une ancienne élève, Élodie Aubonney, aujourd’hui danseuse-chorégraphe.  Ensemble elles ont abordé le corps archive, un corps dont chaque pli a été sculpté par l’histoire de toutes les productions dansées et par sa propre histoire. La rencontre avec deux archivistes des Archives d’Etat leur a permis de se confronter aux histoires tout aussi personnelles contenues dans les documents des Archives d’Etat de Genève. De ces rencontres sont nées des danses abordant des questions de maternité, d’identité, de transmission, de vie et de finitude.

Tout ce processus a été suivi et filmé par Robin Harsch. Robin, réalisateur genevois bien connu, qui a réalisé plusieurs court-métrages de fiction et de télévision dont Federer et moi en 2006 qui a remporté le prix du meilleur court-métrage suisse. Il a beaucoup travaillé avec Manon Hotte et mené plusieurs ateliers de réalisation, notamment avec des jeunes danseuses et danseurs.

Pour les Archives d’Etat, mener de tels projet est dans la logique de nos réflexions. En effet, cette démarche s’inscrit dans l’actualité archivistique actuelle, notamment dans une nouvelle conception de l’exploitation des archives qui est celle de l’usage qu’une société fait de ses documents. La profession s’interroge actuellement, notamment dans le milieu académique archivistique, sur la matérialité des archives, l’émotion qu’elles transmettent et à partir de là la manière de repenser l’objet archivistique. La proposition artistique « Le Corps Archive » s’inscrit donc en continuité directe avec cette prise en considération du contexte dans les processus de production, de gestion et de diffusion de ce patrimoine. Et de l’émotion, il y en a eu pendant cette aventure.

Pour nous les archivistes, c’est un grand bonheur également de rendre audible et de transmettre autrement les voix de celles et ceux qui sont contenus depuis toujours dans les documents, parce que les archives, c’est la vie des gens, et notre mission est de la conserver.

Le film est visible sur le site de l’AAS

Le sort final pressenti: une tentative pragmatique d’application de l’archivistique post-moderniste?

Par Anouk Dunant Gonzenbach

C’était entre la poire et le fromage, à la fin d’un repas sympathique entre archivistes (pléonasme) qui suivait une séance de travail constructive (re-pléonasme). On échangeait avec l’archiviste cantonal de Neuchâtel, Lionel Bartolini, sur le cas d’un département qui proposait aux archives d’Etat de Genève la destruction d’une série de documents dont le sort final avait été établi comme « à détruire » mais que nous n’avions pas validée. En effet, selon le règlement d’application de la loi sur les archives publiques (2001), un bordereau est établi pour chaque destruction d’archives et il doit être validé et signé par l’archiviste d’Etat de Genève.

Dans ce cas, il existait bel et bien un calendrier de conservation qui indiquait bel et bien que le sort final (je déplore entre parenthèses et au passage cet horrible terme qui pour ceux qui s’en souviennent rappelle le sort final de la question juive trouvé par les nazis) de cette série était la destruction. Mais entre-temps, par l’observation de l’évolution des problématiques sociétales et des débats politiques, la donne avait changé. Le sort final prévu n’était, à notre sens, plus pertinent.

Lionel me parle à ce moment-là de la notion de « sort final pressenti » qu’il s’était mis à utiliser dans les calendriers de conservation à Neuchâtel. Le « pressenti » permet ainsi de se contredire et de changer d’avis au moment effectif de la destruction, qui arrive plusieurs années après la décision définie dans le calendrier de conservation.

Une petite recherche sur internet m’apprend alors que ce terme est utilisé également de manière très pertinente aux archives cantonales vaudoises dans leurs calendriers de conservation. Mais je ne trouve nulle part de définition.

Je tente alors la définition suivante : le sort final pressenti est la destination (élimination, conservation ou échantillonnage) de documents, d’un ensemble de documents (ou données ou dossier) à l’expiration de leur délai d’utilité administrative et légale, inscrit dans le calendrier de conservation mais qui peut être soumise à une réévaluation au moment de sa mise en œuvre.

On pourrait nous répliquer que cette définition est floue ou peu scientifique, et qu’il ne sert pas à grand-chose de rédiger des calendriers de conservation si c’est pour ne pas les appliquer in fine. Je pense au contraire qu’il s’agit d’une adaptation conforme aux principes de l’archivistique post moderniste qui prend en compte la dimension profondément humaine des archives et des archivistes, telle que la définit William Yoakim (1). Comme il l’écrit dans cet article, «Tant que nous agissons de bonne foi, que nous acceptons notre part d’humanité et que nous expliquons nos choix et gestes portés sur les archives, nul reproche ne peut nous être fait. Il y aura toujours des politiques d’acquisition, de conservation, des tris et des destructions. L’archiviste essaiera toujours de constituer des ensembles représentatifs des activités accomplies dans son entreprise, dans sa région ou dans son pays. Il importe maintenant de voir que les archives sont infiniment humaines et que les personnes qui les créent, les exploitent, les détruisent ou les conservent, archivistes compris, sont des êtres humains disposant d’une subjectivité et évoluant dans un contexte complexe qui va impacter leurs réactions face aux documents.» (2)

A mon sens, c’est ainsi que nous, archivistes, pouvons  remplir au mieux notre mission, et même nous le devons, notamment dans le domaine sociétal, en permettant par exemple à des personnes concernées de prendre connaissance de leur propre passé (importance de la conservation des données personnelles sensibles par exemple) et aux Etats d’assumer une politique passée.

Qu’en pensez-vous, amies et amis archivistes ?

Question subsidiaire : qui a une idée pour remplacer le terme de «sort final » ? Sort définitif ? Evaluation à terme ? J’offre un t-shirt de chez Limonade & Co à la meilleure proposition (je ne sais pas s’ils proposent encore leurs t-shirt archivistique qui déchirent mais c’est des copains on peut s’arranger je suppose) !

Référence:

1) William Yoakim, « Les archives sont infiniment humaines : il convient maintenant de les percevoir et de les traiter comme telles », in Arbido 2022/1 Archiver l’inarchivable.
2) Ibid.

20 juillet 2022

Archive on tour à Genève

Par Anouk Dunant Gonzenbach

En 2022, l’association des archivistes suisses (AAS) fête son 100ème anniversaire. Plusieurs activités sont prévues pour marquer le coup. Et parmi ces activités, Archive on tour : une boîte d’archive qui doit traverser pendant un an les 26 cantons et le Liechtenstein, de Berne à Berne, et qui au fil de son périple se remplira de contenu laissé à l’imagination des institutions d’archives de chaque canton.

Je l’avoue d’emblée, j’étais un peu sceptique sur le concept. Mais pas longtemps. Comme si j’avais pu oublier la créativité et la fantaisie des archivistes ou leur côté facétieux et taquin. Cette boîte part à la mi-février des Archives fédérales pour se rendre en Valais et là, les choses commencent à mousser : reportages sur la télé locale Canal 9 et à la RTS (télévision suisse romande – voir le reportage du 12:45 ici), articles de journaux, relais dans les différentes communes valaisannes, il se passe un truc, ami.e.s archivistes !

Genève est le deuxième canton à accueillir cette boîte. Le forum des archivistes genevois avait lancé un appel à ses membres et mis à disposition un document partagé contenant un planning libre que chaque institution peut compléter. Il faut le rappeler, Genève possède sur son territoire un nombre pharaonique d’archives et d’archivistes au mètre carré, notamment par la présence des archives des organisations internationales et des ONG (voir la carte ici). Et l’agenda de la boîte se remplit, on se demande même un moment s’il y aura assez de demi-journées dans sa semaine de présence ici pour répondre à toutes les demandes.

Le lundi 21 février, Alain Dubois, archiviste cantonal du Valais, amène la boîte aux Archives d’Etat de Genève.

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Le mardi 22 février un pic-nic d’archivistes s’organise à la Treille. En Suisse, à cette date et depuis 5 jours, les masques sont tombés (sauf dans les transports publics et les établissements médicaux), tout comme le télétravail et l’usage du pass sanitaire. Et là, à cette table de la vieille ville, sur cette promenade historique de la Treille, un moment magique survient : le soleil est là, les archivistes se retrouvent, et nous réalisons alors que c’est la première fois que nous nous réunissons à nouveau, les plaisanteries fusent (private joke à @souslapoussiere), on trinque un coup et c’est un spontané moment de bonheur et de joie que nous vivons.

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La boîte passe des Archives d’Etat au Forum des archivistes, puis du Forum des archivistes aux Archives de la fondation Pictet, sous la statue ad hoc. Une lettre de Thomas Jefferson à Marc-Auguste Pictet datée du 5 février 1803 y prend place (coup de chapeau, un fac-similé d’une qualité incroyable).

pictetElle part ensuite aux hôpitaux universitaires genevois (HUG) à vélo. Le mercredi, tout un photoshooting est organisé; un dossier médical archivé prend place dans la boîte (un faux, bien sûr):

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Le jeudi, à bord d’un deuxième vélo, elle rejoint  le CICR. La boîte y côtoie de lointaines cousines de Tachkent et de Jérusalem, se repose un coup dans les rayons, visite quelques dossiers virtuels du nouveau système de records management du CICR et des photos des riches fonds audiovisuels (lien à ne pas manquer, ce fonds en ligne est un trésor) puis reçoit une copie du premier procès-verbal du comité de secours aux blessés qui deviendra la Croix-Rouge, signé par Henry Dunant le 17 février 1863.

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Dans le quartier des organisations internationales, elle se rend à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au milieu des archives relatives à l’éradication de la variole:

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Puis au Conseil oecuménique des Eglises (COE) où elle se balade sur un chariot dans la salle de lecture.

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Puis elle transplane  pour se rendre à Collonge-Bellerive participer à un projet de gestion documentaire avec le service informatique transversal des communes genevoises. A Genève, on ne recule devant rien! La boîte a désormais son petit nom, Archie, et un grand sourire.

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La boîte part ensuite à  l’Hospice général qui dépose son logo et un historique de cette institution.

Le jeudi soir, elle se déplace aux Archives contestataires, à bord d’un nouveau vélo. Elle reçoit notamment une copie d’archive syndicale relative au SARCEM, une société de microtechnique (production d’automates à bobiner) basée à Meyrin:  le 2 juin 1976, les travailleuses et travailleurs de SARCEM décident d’occuper leur usine pour empêcher la saisie des machines dans le contexte d’une faillite au sujet de laquelle ils nourrissent de gros doutes. L’occupation durera quatre mois, quatre mois d’une intense activité de mobilisation auteur de leur lutte et de vives tensions avec la Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie.

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Le vendredi, elle fait un petit tour à la haute école de gestion, filière information documentaire (HEG_id). Le lundi, elle s’y trouve encore au milieu de l’Archilab avec les étudiant.es:

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Ce même jour, la passation de la boîte entre la HEG et l’archiviste des Transports publics genevois (TPG) se fait au soleil:

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Aux TPG, qui fêtent les 160 ans de la ligne de tram 12, la première ligne de tramways d’Europe (et qui est encore en activité!), elle voyage à bord d’un tram historique et du tram rose de Pipilotti Rist. Les TPG ont mis le paquet à l’occasion de Archive on tour. La boîte s’enrichit d’une collection d’anciens billets de bus. Les images sont disponibles sur le post LinkedIn de Cynthia Schneider.

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Ici, on est très fièr.es de la mobilité douce de la boîte.  Qui passe ensuite aux Archives de la Ville de Genève:

tpg_archvgLa boîte s’arrête un coup dans le parc des Bastions, puis reçoit une photo sur laquelle on voit Lise Girardin, la première femme en Suisse conseillère administrative et maire d’une grande ville, en 1967.

1-avg2Mardi matin, elle remonte la colline pour revenir aux Archives d’Etat, d’abord solennellement aux Canons, puis plus récréativement chez le Père Glozu.

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Et c’est la fin du tour genevois. En fin d’après-midi le mardi, la boîte quitte le canton à vélo. On se retrouve à Morges pour la passation:

2_vaudJ’en remets une, parce qu’on est trop fières, avec Delphine Friedmann, la directrice des archives cantonales vaudoises, de notre rencontre ici, et on aura fait durer le suspens (allions-nous manger un papet? nous retrouver sur les bords de la Versoix?). Et surtout, c’est l’histoire d’une belle amitié, comme on en a le secret dans notre profession.

2_vaud2Y’a même La Télé locale qui est présente (sur la photo, on voit les billets de bus des TPG). On reste une heure avec elle et avec Acacio Calisto, qui a accompagné Delphine. La jeune journaliste nous lance, en repartant: « ça fait du bien de rencontrer des gens enthousiastes! ». Le lien du reportage est ici.

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Pour en savoir plus et pour suivre la suite, n’hésitez pas à visiter Twitter, Facebook et Insta en suivant #archivCH et #archiveontour.

Et surtout, ce que Archive on tour nous permet, c’est de nous retrouver, et de s’émerveiller devant ces amitiés archivistiques, cette amitié archivistique à travers le monde et ce même engagement qui nous lie. J’aime ma profession, et je remets le lien sur le billet que j’avais écrit en 2013 et auquel j’adhère toujours davantage: Archiviste, pourquoi j’aime ma profession.

1er mars 2022

Créations, semis et palabres. Archivage de processus de création

Par Anouk Dunant Gonzenbach

« Archiver le temps présent. Les fabriques alternatives d’archives », tel est le titre de l’édition 2018 des Journées des archives de l’Université de Louvain-la-Neuve. Les Actes de ces journées, édités par Véronique Fillieux, Aurore François et Françoise Hiraux, viennent de paraître aux Presses universitaires de Louvain. A commander ici.

J’ai eu la grande chance de participer à ces Journées ; c’est toujours un grand bonheur d’être accueillis par nos collègues belges ; grâce à elles, quand on arrive à Louvain-la-Neuve, on se sent comme à la maison, et on en repart nourris de la richesse des échanges avec les collègues de toute la francophonie – échanges qui ont lieu autant pendant les conférences qu’autour d’une bière, faut-il le préciser.

Je remercie les éditrices grâce auxquelles mon article sur notre projet d’archivage des processus de création intitulé « Créations, semis et palabres » est désormais publié.

«Créations, semis et palabres. Archivage des processus de création».

Création, semis et palabres est un projet d’archivage artistique, de valorisation et de mise à disposition du fonds de la chorégraphe Manon Hotte, qui constitue un patrimoine de la danse contemporaine genevoise et témoigne du travail spécifique mené avec des professionnels et de très jeunes danseurs. Ce projet développe, en plus d’un archivage traditionnel  des archives vivantes et évolutives en rendant lisibles des processus de création, tout en impliquant la relève artistique, les internautes et le public. Dans le but de permettre une circulation d’idées et de la matière à créer, ce projet, qui nourrit ainsi l’histoire de la création suisse, s’articule en trois formats : les boîtes à création, les tiroirs à semis et la toile à palabres.

Résumé du projet en écriture libre :

Septembre 2010

Je n’ai jamais été sensible à la danse. J’ai toujours cru que les écoles de danse étaient des usines à fabriquer des adolescentes anorexiques et nombrilistes. J’en suis restée aux tutus et lac des Cygnes au Grand Théâtre. Je n’ai jamais pris comme spectatrice le virage de la danse contemporaine. Je préfère l’opéra et le théâtre. Pourtant, j’inscris ma fille de 6 ans à l’Atelier danse Manon Hotte, dit ADMH. Parce que c’est dans le quartier, parce que je souhaite lui faire habiter son corps autant qu’elle habite sa tête, parce que je n’avais jamais eu la chance de vivre cela. Je constate rapidement tout le bienfait qu’elle retire des cours. Manon a créé l’ADMH en 1993. Puis en 1998 la Cie Virevolte qui lui est liée, une troupe de danseurs adolescents. Ses locaux sont installés au sein d’une coopérative dans le quartier de Saint-Jean à Genève. Je vibre d’emblée à la corde de cet atelier.

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Juin 2014

Problèmes financiers liés aux exigences administratives étatiques. L’Atelier ferme. J’ai le cœur brisé. Ma fille a maintenant 10 ans. Je n’avais jamais rien compris à la danse contemporaine mais sans me l’expliquer je suis subjuguée par ce que ces cours ont apporté à ma fille. Par ce que j’ai vécu comme parent bénévole dans les productions. Par la richesse que tout cela nous a apporté. Mes clichés ont disparu sous les mouvements de ces corps. Je ne m’expliquerai que par la suite pourquoi j’ai été tellement touchée par cet enseignement. En ce fichu mois de juin 2014, l’Atelier ferme. La balle rebondit, et le Projet H107 est co-fondé dans le même lieu par Marion Baeriswyl, Aïcha El Fishawy et Manon Hotte. Ensemble, elles imaginent un espace de création contemporaine ouvert aux résidences (les artistes en création peuvent louer le studio de danse pour des durées de une à trois semaines). Manon Hotte évoque à ce moment son souhait d’écrire un livre. Au préalable, elle veut classer toutes les archives de l’Atelier. Je propose mon aide pour ce dernier projet, l’archivage. Je suis une archiviste professionnelle. J’évalue. Je me dis, en deux mercredis ce sera plié, tout en boîte. Manon pourra poursuivre son projet d’écriture.

archivage

Novembre 2014

En deux mercredis tout n’a pas été plié. Parce que Manon a dit, tu sais, la danse cela ne se met pas en boîte comme cela. Nait alors le projet « Création, semis et palabres ». Je découvre pourquoi cet Atelier m’a parlé, quand Manon me dit : « mon objectif premier n’est pas forcément de faire de l’enfant un danseur, mais un citoyen qui sache quoi voter à 18 ans ». Tout s’éclaire: son but est le même que pour le scoutisme qui m’a en grande partie forgée: développer l’enfant puis le jeune dans toutes ses dimensions. Le rendre autonome. Cela m’a toujours parlé et me parle encore. Ce qui s’est passé à l’Atelier, c’est la pédagogie de la création. C’est à dire, voir comment on amène des enfants dès quatre ans à être dans une situation de créateur. L’enfant est accompagné sur le chemin de la création. Il est amené à se poser des questions, observer ce qui l’entoure. A se forger une opinion et transposer cette somme d’expérience en mouvement dansé. Une génération d’enfants et de jeunes formés ainsi. Et maintenant il s’agit d’archiver tout cela. Sans trahir l’enjeu.

Recherche. Tour du monde archivistique complet. Pas d’exemple à disposition. Alors nous développons notre propre système. La « boîte à création », qui doit permettre de découvrir comment a été effectuée une création avec les jeunes. Nous archivons quelque chose d’inédit, nous archivons des processus de création. L’archivage lui-même devient processus de création.

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Manon et Nathalie ont peur du mot archives. Pour elles, enfermer des documents dans des boîtes, c’est mettre à mort tout ce qui s’est passé. Les boîtes d’archives qui ferment avec des rubans sont des tombeaux pour mots dont certains auront peut-être la chance d’être lus un jour par un historien poussiéreux. J’appelle à l’aide mon ami Jurg, fabricant de boîtes d’archives. Il nous en réalise en couleurs, sans rubans, mais qui respectent les normes de la conservation. Ce compromis sans compromission fonctionne.

Nos boîtes ne sont pas fermées, ne sont pas là que pour la recherche historique. Elle permettent des semis, elles sont là pour recevoir des traces d’aujourd’hui et de demain. Elles sont là pour permettre la création artistique à partir de leurs témoignages.

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Mars 2018

Lancement public du projet. Nous avons archivé quelque chose d’inédit qui reste vivant. La réalisation n’a pas duré deux mercredis mais quatre ans. Le projet continue.(Je précise ici que travaillant à taux partiel à 80%, taux qui était encore plus partiel jusqu’en octobre 2017, j’ai mené ce tout cela sur mon temps privé).

A. Dunant Gonzenbach, « Créations, semis et palabres. Archivage des processus de création et archives vivantes », in Archiver le temps présent. Les fabriques alternatives d’archives, V. Fillieux, A. François, F. Hiraux (Eds), Presses universitaires de Louvain, 2020, pp. 41-62.

Flocons papillons, archives de l’enfance de la CRIEE et Anne Sylvestre

Par Anouk Dunant Gonzenbach

« Flocons, papillons, la fenêtre la fenêtre
Flocons, papillons, la fenêtre est en coton »
Anne Sylvestre

L’hiver est là, Anne Sylvestre n’est plus là, le virus est là, Noël en famille on n’y arrivera pas… Il est temps de donner la parole aux enfants, à l’avenir, aux enfants que nous étions, à ceux qui seront, et sur ce blog évidemment, cela passe par les archives.

Les archives des enfants? Archives de l’enfance?  Voici un billet sur La CRIÉE (communauté de recherche interdisciplinaire sur l’éducation et l’enfance), qui a pour objectif de contribuer à l’histoire de l’éducation et de l’enfance, par des recherches, des publications et des expositions.

La CRIEE
Tout débute en 1988, quand la CRIEE commence à constituer une collection pour sauvegarder le patrimoine scolaire genevois, en rassemblant les « souvenirs d’école et d’enfance » dispersés dans les caves et les greniers des anciens élèves et maîtres, comme il est écrit sur son site. J’imagine bien les archivistes (les archivistes sont formidables, l’a-t-on assez dit?) écumant les greniers genevois poussiéreux avec leur hotte.

Trente-deux ans plus tard, la CRIEE est riche de 22’000 objets et documents d’archives privées. L’histoire de l’école genevoise est là, dans ces documents produits par ses acteurs directs, les élèves et enseignant.e.s des écoles enfantines, primaires et secondaires!

La base de données de la CRIEE est disponible en ligne et contient des milliers de descriptions de manuels scolaires, cahiers, photos de classe, courses d’écoles, carnets, exercices de coutures ou plumiers ainsi que des images numérisées.

A voir à la rue de l’Hôtel-de-Ville
L’âme, la cheville ouvrière et la tête pensante de la CRIEEE, c’est Chantal Renevey Fry, l’archiviste du département de l’instruction publique (DIP), avec l’assistance indispensable de sa collaboratrice Klara Tuszynski. Régulièrement, en plus d’expositions à la Maison Tavel, elle présente des archives dans les vitrines du siège du DIP à la rue de l’Hôtel-de-Ville.

Actuellement, et ce sont ses mots, elle nous invite à un voyage aux temps de l’Escalade et de Noël, et dans l’hiver de plusieurs enfances successives.

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Cette exposition, écrit-elle, « n’a pas d’autre ambition que de vous offrir un peu d’évasion et de souvenirs en cette période un peu compliquée et de vous permettre de vous évader quelques instants dans une nostalgie heureuse.

Et si vous n’aimez pas l’hiver (ou cet hiver en particulier…), n’oubliez pas :

« Il neigera, il neigera, puis un jour le printemps viendra.
Et sur les branches il neigera
des fleurs de pomme et du lilas »
Anne Sylvestre

Chantal nous offre pour terminer une jolie perle datée de 1959, pour toutes les familles qui ne pourront pas se réunir au complet en ce mois de décembre:

« Cher grand-papa et grand-maman;
Je suis un peu triste de ne pas fêter Noël avec vous »

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Merci aux Archiveilleurs!

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Je ne sais plus exactement quand la profession a commencé à bloguer, puis à facebooker et tweeter ce qui se passait par-ci par-là. Je me rappelle juste qu’un jour, en plus de la lecture des revues professionnelles, j’ai commencé à faire des listes de sites internets favoris, à les copier-coller entre le bureau et la maison, à me discipliner pour y faire un tour une fois par semaines (je ne comprenais encore pas bien les flux RSS), à commencer à flipper parce que je n’y arrivais pas, à m’extasier devant les Tweets qui nous ouvraient en direct sur l’actualité de nos collègues, à paniquer à mort parce que je n’arrivais pas à suivre, à m’envoyer par e-mail les liens de ces Tweets pour ne pas les perdre et les lire plus tard, à devenir dingue parce que je n’y arrivais pas non plus…

… et les Archiveilleurs sont arrivés. Discrètement au début, avec déjà un graphisme d’enfer. La fameuse image des gens avec les jumelles. Un trésor, une mine d’or. Tout était là, et on pouvait leur proposer des liens. Une veille professionnelle exceptionnelle (à l’image de la profession hein).

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Et cela fait déjà 10 ans exactement, déjà, nous apprennent-ils dans un billet du 26 avril 2020. Chères et Chers Archiveilleurs, je vous remercie du fond du cœur pour ce flux d’information, qui n’a pas d’équivalent. L’article d’Alexandre Garcia  – aka soulap, l’un des piliers –  qui annonce cet anniversaire est à l’image de cette action, les illustrations toujours d’enfer.

Je pense que les Archiveilleurs ont toujours leur place dans le monde archivistique et en sont d’ailleurs devenus une pièce indispensable. Je pense que cette activité de veille est toujours pertinente et utile à notre communauté.

Merci à vous sincèrement, archivistiquement et pour encore longtemps je l’espère!

Covid-19, solidarité archivistique, poussière et FFP2

par Anouk Dunant Gonzenbach

Depuis bientôt vingt ans, je prends mon bâton de pèlerin d’une main et mon sabre laser de l’autre pour dépoussiérer notre profession, car tout le monde nous imagine enfermés dans des caves pleines de vieux documents tous gris et nous aussi gris qu’eux, nous, les archivistes.

Médiation avec les enfants, médiation numérique, archivage électronique, trésors merveilleux, parchemins émouvants, dossiers personnels comme traces de vies oubliées, preuves des activités de l’Etat, de la couleur et et et mon chignon destructuré et mes lentilles de contact.

Paf là d’un coup bizarrement, c’est aujourd’hui grâce à la poussière (il ne faut pas se cacher la vérité, il y en a quand-même, en vrai, de la poussière, bien sûr) que les archives peuvent apporter une toute petite pierre à l’édifice. Pour traiter les fonds qui entrent dans nos dépôts avec de la poussière, ou pour nous protéger lorsqu’il y a des moisissures sur les documents, nous utilisons des masques (même des FFP 2 et 3 car il ne faut toujours pas se cacher la vérité, de la poussière, il n’y en a pas qu’un peu), des gants, des charlottes et des surblouses.

Beaucoup de nos institutions possèdent donc des stocks –certes modestes- de ce matériel qui a pris une valeur que personne ne pouvait soupçonner il y a quelques semaines. Les Archives se sont donc mobilisées pour le mettre à disposition des hôpitaux. Plusieurs institutions ont également détaché des archivistes, vu qu’on est spécialisés dans la gestion documentaire, dans les états-majors des dispositifs de crise cantonaux.

Au niveau de l’Association des archivistes suisses (AAS), un appel à la solidarité a été lancé :

 vsa-aas

A la Chaux-de-Fonds, les institutions archivistiques et muséales ont lancé un défi Facebook #FileTonMatos:

defi-fbTout cela a essaimé chez les GLAM suisses (on est glam’ vous saviez pas ? Galleries, Libraries, Archives and Museums). Partout dans le monde, les archives se sont mobilisées :

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Il y a même eu un article dans Paris-Match:

paris_match

Et comme nous avons un humour archivistique très particulier, je ne résiste pas à relayer le tweet de nos collègues du Borthwick Institute for Archives de l’université de York (merci @souslapoussiere pour le repérage) :

york

Enfance placée, enfance volée. Le travail de l’archiviste en Suisse

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Du 3 au 5 avril 2019 a eu lieu le Forum des archivistes français à Saint-Etienne sous le thème: Archives et transparence, une ambition citoyenne (riche et passionnant, comme toujours). Dans le cadre de la session « Quels sont les besoins de la société civile en matière d’archives », Pierre Flückiger et moi-même avons exposé le sujet suivant: « Retracer le passé de victimes : la gestion de l’impact émotionnel sur les archivistes ».

Le résumé de ce texte est le suivant:
Jusqu’au début des années 1980 en Suisse, des mesures de coercition à des fins d’assistance et de placements extrafamiliaux ont été prises à l’encontre d’enfants et de jeunes. Ces enfants ont été très souvent maltraités dans les institutions ou familles d’accueil auxquelles ils avaient été confiés. Depuis quelques années, nous avons assisté à une prise de conscience de l’opinion publique, qui a amené le Parlement à adopter en 2017une loi prévoyant que les victimes de ces placements puissent bénéficier d’une contribution de solidarité. Cette loi donne pour mission aux archives publiques de reconstituer les parcours individuels de ces personnes afin de fournir les preuves des placements.
Les archivistes se retrouvent ainsi en contact avec des personnes qui cherchent à combler les trous dans leur passé et effectuent les recherches permettant d’étayer leur demande d’indemnités. Ils sont ainsi confrontés très régulièrement à des situations émotionnelles particulièrement difficiles, qui peuvent, parce qu’elles sont très fréquentes, déclencher des symptômes post-traumatiques.
Le métier d’archiviste ne forme pas à la gestion de ces situations particulières. Ce retour d’expérience montre comment développer des compétences qui aident à préserver la santé à court et moyen terme des archivistes confrontés à ces situations et comment à l’avenir notre profession peut et doit s’y préparer.

Ce texte a été publié dans le n. 255 de la Gazette des Archives.
A. Dunant Gonzenbach, P. Flückiger, « Retracer le passé de victimes : la gestion de l’impact émotionnel sur les archivistes », in Archives et transparence, une ambition citoyenne, La Gazette des Archives, n. 255, (2019-3), pp. 88-98.


Mon propre regard en prose libre:

Enfance volée

« Je m’appelle Lucie Henri je suis née le 3 mai 1951 je vous remercie de me faire parvenir mon dossier. » Message parmi les centaines de messages identiques adressés aux Archives du canton.

Elle cherche à combler les trous de son passé. Elle imagine que son passé est rangé sur une étagère par ordre alphabétique. Elle espère que les blancs qui désordonnent son enfance seront comblés par des feuilles de papier bien organisées. Un accès à l’enfant qu’elle a été, à des souvenirs qui manquent, à ces trous de son passé.

Son passé est celui d’un enfant placé. Il y en a beaucoup, mais chacun est particulier. Un passé souvent en partie effacé, un enfant abandonné, un enfant trimballé de famille d’accueil en foyer, un enfant effroyablement désemparé, un enfant qui ne comprend pas, qui a oublié.

Celle-ci a été déposé par sa mère comme une valise sur un au bout de la rue. Celui-ci a été sacrifié par la mère en faveur du beau-père qui pourtant le battait. Celle-ci a été arrachée à une mère qui ne proposait pas de père. Il y a celui qui avait des parents qui ne savaient pas faire. Celle qui avait trop de frères et sœurs. Celui qui était seul mais de trop. L’enfant veut toujours ses parents, la réciproque n’est pas vraie. Les histoires se ressemblent et sont uniques.

Alors, des draps déchirés tous les soirs dans le dortoir, des cordelettes qui frappent, des accueils qui baissent les bras, des assistantes sociales qui se démènent dans un monde encore fait de machines à écrire et de téléphones à fil, des foyers surchargés, une main-d’œuvre à laquelle on renonce car un saisonnier coûte moins cher, des failles dans le sytème, un système avec des personnes à responsabilités qui les fuient, d’autres qui les prennent, rien n’est jamais noir ni blanc, mais quand c’est noir, comme c’est noir, elle a deux  ans et demi et douze placements, le manque ne sera jamais comblé.

Une enfance volée, un avenir jamais réparé, il y a ceux pour qui si, il y a ceux pour qui non, mais pour tous, la voix tremble aujourd’hui en l’évoquant.

Son passé n’est pas dans un dossier numéroté sur un rayon identifié. Son passé, l’Etat a décidé de l’indemniser. Alors il faut le prouver. Une opportunité ainsi de se l’approprier. Mais son passé n’est pas dans un dossier numéroté sur un rayon identifié.

Ce qui reste, il faut le rassembler, une partie sur des étagères ici, une partie dans un foyer qui aurait par chance conservé des documents là-bas, une partie dans des archives scolaires, dans un registre de jugement de divorce, dans un carnet de santé, dans une décision de justice, une minutieuse enquête pour chacun en particulier. Rien n’est caché, une fois trouvé, tout est montré. Mais l’histoire se fait sur ce qui a été conservé. Alors pas pour tous, des traces sont trouvées.

Des traces officielles, des traces administratives, ce qui a été laissé dans les dossiers. C’est une version de l’histoire, un côté de l’affaire, les traces ne sont jamais objectives. Mais traces elles sont.

On lui a volé son enfance, des mots à l’encre sur une feuille ne vont pas la lui rendre. Mais comprendre, boucher des trous, lire le vide, c’est restituer un peu. Elle tremble, elle tourne les pages des dossiers, elle se raccroche à une ligne, elle pleure. Elle a fait la démarche, elle a franchi la porte, elle a pris sur elle, et maintenant elle lit. Ça confirme des éléments, ça valide des sensations, ça détruit des illusions, ça fait tout remonter. Beaucoup savent aussi qu’ils ne pourront le supporter, alors ils n’ont pas demandé.

Elle referme le dossier. Une enfance volée. Elle a soixante ans, c’est toujours resté béant.

Anouk Dunant Gonzenbach, mars 2018