L’invité du blog : Pierre Flückiger, Archiviste d’Etat de Genève
De Brisbane, Congrès international des archives 2012

Les temps changent… des principes s’affirment

Le Conseil international des archives (ICA) s’est réuni à Brisbane (Australie) durant la semaine du 20 août 2012. C’est l’occasion pour plus de 1000 archivistes du monde entier de faire part de leurs expériences et d’échanger leurs opinions sur l’avenir de la profession en profonde mutation.

Antipodes
Brisbane se révèle être une ville très  agréable, dotée d’une architecture moderne et originale, mais aussi d’espaces de détente, à l’image du vaste jardin botanique situé dans un méandre de la rivière, face aux falaises de Kanguroo Point. L’accueil fut particulièrement soigné. Les hôtes étaient en effet très heureux de recevoir le congrès de l’ICA qui se déroulait pour la première fois de son histoire dans l’hémisphère sud.
Des orateurs de choix furent invités, tels que le juge Baltasar Garzon Real ou la très célèbre Dame Stella Rimington qui travailla pour les services secrets de Sa Majesté et qui fut même  directrice générale du MI 5, avant de publier des ouvrages à succès. Mais qui savait qu’avant de mener cette vie digne d’un roman d’espionnage, elle avait été archiviste dans un comté anglais ?

Trois thématiques
Les conférences étaient concentrées autour de trois thématiques: développement durable, confiance et identité, le tout naturellement en relation avec les archives.  Cependant, les changements liés à l’utilisation généralisée des nouvelles technologies, et maintenant des réseaux sociaux, ont animé de très  nombreux débats. Cette véritable révolution de l’information et de la communication conduit  en effet à des changements de paradigmes et impose  des défis passionnants, non seulement à la profession, mais encore à la société toute entière.
Que les archivistes se saisissent de ces nouvelles technologies devrait participer au changement de leur image. “Les temps changent”, tel était le titre du congrès.

Des principes d’accès aux Archives
Le 24 août 2012, l’assemblée générale a adopté une résolution sur les Principes d’accès aux archives. Ce texte vient compléter le Code de déontologie voté en 1996 et la Déclaration universelle sur les archives enregistrée auprès de l’Unesco en 2010. Un groupe de travail s’est réuni pour la première fois en mai 2010 pour rédiger ensuite un texte qui a été mis en consultation. Les Principes d’accès aux archives proposent une référence internationale dans ce domaine et permettent aux institutions d’évaluer leurs politiques et leurs pratiques.

Menons donc l’exercice jusqu’au bout en évaluant la compatibilité de la situation d’un service d’archives, les Archives d’Etat de Genève (AEG), avec trois principes, parmi les dix énoncés.

Principe 2 : les institutions d’archives ont une attitude proactive en ce qui concerne l’accès aux archives.
Dès l’année 2006, les AEG ont mis en ligne leur base de données Adhémar contenant les inventaires. En 2011, les AEG ont adhéré à ArchivesOnline, le portail suisse d’accès unique aux bases de données des institutions suisses affiliées. Ainsi, avec une seule requête, le chercheur peut interroger les différentes bases de données d’archives cantonales ou communales suisses ou encore d’instituts universitaires ou privés. Les AEG répondent donc à ce critère d’évaluation de manière positive.

Principe 3 : Les institutions d’archives font connaître l’existence des archives, y compris pour les archives qui ne sont pas communicables, ainsi que l’existence de mesures limitant la communicabilité des archives.
Les AEG mettent en ligne tous leurs bordereaux de versement qui documentent l’entrée des fonds, y compris pour ceux qui ne sont pas immédiatement consultables et dont les délais de protection ne sont pas échus. Elles ont également réalisé des bordereaux d’entrée à postériori en analysant les rapports annuels de la première moitié du XXe siècle. Ainsi, tous les fonds conservés par les AEG sont identifiables en ligne, indépendamment de leurs conditions d’accessibilité. Relevons que la loi genevoise sur les archives publiques entrée en vigueur en 2000 ne pose pas cette exigence de transparence. Là aussi, les AEG respectent les Principes d’accès aux archives approuvés à Brisbane.

Principe 5 : Les documents sont consultables selon des conditions d’accès justes et égales pour tous.
Le commentaire accompagnant ce principe mentionne que les données qui étaient consultables dans une administration le restent après avoir été versées au service d’archives. En 2010, à Genève, le législateur a modifié la loi sur les archives publiques en y insérant un article sur le droit à l’oubli. Un dossier qui était consultable dans l’administration, une fois versé aux AEG, le reste durant 5 ans. Ce délai échu, le dossier devient inaccessible pendant 25 ans à compter de sa clôture. Ce droit à l’oubli, étendu à tous les types de données, contrevient clairement au principe 5, tel qu’il est défini.

Perspectives
L’utilité de ce genre de résolutions est évidente. Elles permettent à des institutions d’archives non seulement d’évaluer leurs pratiques, mais aussi de fournir un argumentaire pour éviter que des décisions politiques aient des conséquences parfois inadéquates. Comme on l’a vu, même dans un Etat  fier de son système démocratique, la législation peut toujours être améliorée.

Relevons ici l’immédiateté du monde dans lequel nous vivons désormais.  Une décision prise aux antipodes peut être diffusée et appliquée instantanément sur toute la surface du globe.
Les débats eux-mêmes sont diffusés et commentés en direct. Comment imaginer conserver, ou à défaut gérer, ce flux continuel d’informations ? Comment répondre aux attentes légitimes de la société civile en matière d’information, tout en préservant la protection des données personnelles par exemple ? Et finalement, plus particulièrement pour les archivistes: dans ce monde nouveau, que devient la relation traditionnelle qu’ils entretenaient avec l’espace temps ? Quelques questions qui vont certainement alimenter les débats ces prochaines années.
Pierre Flückiger