Le présent d'hier et de demain

Réflexions sur les archives et surtout l'archivistique à l'ère du numérique (et parfois même un peu de poésie) – Anouk Dunant Gonzenbach

Swiss Open Cultural Hackathon (27-28 février, Bibliothèque nationale suisse, Berne)

par Anouk Dunant Gonzenbach

Un hackathon est un événement de deux jours sous forme de workshop lors duquel des développeurs informatiques collaborent avec des chercheurs autour de projets d’applications informatiques.

Le premier Hackathon culturel suisse  a eu lieu à la Bibliothèque nationale à Berne les 27 et 28 février 2015,  organisé par le groupe detravail OpenGLAM (openglam.ch) en collaboration avec la Bibliothèque nationale suisse etd’autres institutions, dont infoclio.ch (GLAM est l’acronyme de Galleries, libraries, Archives and Museums).

Il a réuni une centaine de personnes,chercheurs, acteurs culturels, archivistes, bibliothécaires, programmeurs et wikipédienspour travailler avec des données du monde de la culture. Ces données sont par exemple des inventaires d’archives ou des collections de photos (collections de photos de la Ville de Zurich, inventaire des documents diplomatiques suisses-Dodis, collection de photos du musée historique de Bâle, Journal de Genève numérisé, etc.), des procès-verbaux de gouvernements cantonaux ou les images numérisées des Conventions de Genève, téléchargeables ici.

Mais que peuvent bien faire cent geekettes et geeks pendant deux jours avec des données culturelles?

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Après une brève présentation des jeux de données, les participants qui viennent avec une idée précise l’exposent en
plénière : médiation numérique en milieu muséal, lier des images à un lieu (tourisme), outil qui aide à traduire des documents d’archives, import de données dans Wikidata, etc.

Une pause, pendant laquelle chacun se rallie à un projet, puis les groupes se constituent et commencent à travailler. En parallèle ont lieu des ateliers sur le linked open data, Wikidata…

Voici quelques exemples de résultats  :

·  Géoréférencement de cartes historiques de la Suisse provenant de la collection Marcel Zumstein, et superposition sur la
carte actuelle :  http://klokan.github.io/openglambern/

·  Une performance artistique : deux acteurs dans un dialogue avec des mots tirés des jeux de données, dont une partie
« itinéraire poétique à travers les monuments classés »

·  Importation de la collection de photos de la Ville de Zurich dans Wikimedia commons : ajouter des métadonnées, des
mots-clés (nom d’un église par exemple) et le nom du photographe. La présence d’une archiviste (Archives fédérales) avait tout son sens pour le choix des métadonnées, la description des photos et l’orientation dans la collection de photos :  http://make.opendata.ch/wiki/project:historical_views_of_zurich_data_upload

·  Enrichir des articles de Wikipedia avec les photos de la publication “Zürich 1799: Eine Stadt erlebt den Krieg”, publiée
par la Ville de Zurich sous la licence CC-BY-SA-3.0 :  http://make.opendata.ch/wiki/project:zuerich_1799

·  Développement d’un petit outil qui récupère les catégorie de Wikimedia Commons afin que les GLAM puissent les utiliser pour indexer leurs documents, par exemple des collections de photos..

En plus détaillé, voici le projet auquel j’ai participé :

· Documents diplomatiques suisses et presse genevoise, 1914

Ce projet utilise deux jeux de données : les documents diplomatiques suisses et le Journal de Genève (quotidien genevois aujourd’hui disparu, dont la collection numérisée est disponible en ligne). L’objectif est de connecter des articles de presse du Journal de Genève (quotidien genevois numérisé en ligne) et un échantillon de la collection des Documents diplomatiques suisses (Dodis). Le principe est d’effectuer une requête dans les descriptions de Dodis (métadonnées) pour rechercher, sur un intervalle de temps précis, ce qui apparaît dans la presse en comparant les occurrences qui se trouvent dans les deux jeux de données. Il sera ainsi possible d’examiner si la presse écrite reflète ce qui se passe au niveau diplomatique. Le projet se concentre sur la période de l’été 1914.

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Il s’agit d’épurer les articles du Journal de Genève (enlever tout le bruit, par exemple les termes plus petits que 4 signes). L’épuration est un travail énorme, qui correpond à un pré-process d’indexation du journal. Des comparaisons sont créés sur des vecteurs de petite taille et des paires sont faites entre l’index du mot et l’occurrence de ce mot. Des groupes sémantiques sont ainsi recomposés (thésaurus).

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Les difficultés sont techniques, mais pas que. Par exemple, il y a le problème de la masse à traiter : au début, le travail est effectué sur 15 jours de données du journal, puis sur 3 mois. Ou encore, certains documents étaient classifiés à l’époque, donc les décisions dont il est question n’apparaissent pas dans la presse.

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Le résultat du projet se trouve ici : http://make.opendata.ch/wiki/project:diplomatic_documents_and_swiss_newspapers_in_1914

La deuxième partie du projet a été  de géolocaliser le corpus. Les métadonnées de lieu sont extraites de jeux de données et géoréférencées sur une carte géographique.

En conclusion, je pense qu’il est important que les institutions d’archives mettent à disposition des jeux de données en open data pour ce genre d’événement. J’ai trouvé passionnant de participer et d’observer quels usages peuvent être faits des données culturelles et de travailler avec des développeurs géniaux. Deux jours devant un écran, nourris en intraveineuse à coup de sandwiches au salami et finir les yeux explosés, c’est aussi une expérience à vivre ! Merci infiniment aux organisateurs de ce hackathon culturel. Les résultats de projets, documentés sur la wiki du Hackathon.

L’intégration des données historiques dans un système d’information du territoire (SIT/GIS):  exemple d’une médiation réussie

Par Anouk Dunant Gonzenbach et Pierre Flückiger

Le paradoxe de la carte réside dans le fait qu’elle sert à faire état de territoires découverts et à  en  découvrir  de  nouveaux.  A  notre  époque,  les  nouveaux territoires  ne  sont  plus  à découvrir sur la terre mais dans les couches du temps. Aujourd’hui, il est désormais possible de  réunir  chaque  fragment  de connaissance  pour  former  une  vision  globale  grâce  à  la technologie  et  de synthétiser  sur  des  cartes  les connaissances  acquises,  sur  un référentiel unique. Il  est  ainsi  possible  d’exploiter  mieux  les  cartes  historiques  car  la géomatique  offre les  moyens  pour  ce  faire.  L’orientation  et  les  différences d’échelles  de  plans  peuvent désormais   être   confrontées   et   superposées  facilement,   ce   qui   permet   de   nouvelles interprétations historiques.  

La  cartographie  n’est  pas  un  sujet  habituellement  traité  en  archivistique. Lors de la 2e conférence annuelle des archives de l’ICA à Gérone en octobre 2014, nous avons  présenté  comment  les  cartes  et  données  historiques genevoises  ont  été  intégrées  au système   d’information   du   territoire   genevois  (SITG).   Nous avons  souhaité   expliquer   une démarche   illustrée   par un   exemple   d’utilisation   différent   des   sources   historiques   et d’engagement d’activités archivistiques dans un tel projet.

Le texte complet de l’article se trouve ici.

Ce qui m’a touchée lors de la conférence annuelle des archives à Gérone, octobre 2014

par Anouk Dunant Gonzenbach

Je ne vais pas faire ici un billet sur les points forts métier de cette passionnante conférence internationale (cela viendra peut-être dans un deuxième temps, hein @souslapoussiere ?). Non, ce dont je voulais témoigner ici, c’est des émotions suscitées par la séance de clôture et mes quelques réflexions qui en ont suivi.

A la toute fin de ce congrès de trois jours et en guise de conclusion, trois jeunes professionnels, actifs depuis une année au niveau de l’ICA (Association internationale des archivistes), ont témoigné de leur engagement. Il s’agissait pour l’ICA d’une volonté d’intégrer des jeunes professionnels au niveau international. Ces trois jeunes collègues viennent de pays où la problématique des archives relève d’un enjeu fort.

Brenda Mamvura (archives nationales du Zimbabwe) a parlé avec enthousiasme, un enthousiasme porteur de tout l’espoir que les archives peuvent apporter en matière de démocratie et de tout ce qu’il est possible de faire ensemble. Dynamique, convaincante et émouvante. Je ne suis pas la seule à avoir senti quelques larmes d’émotion pointer, je vous promets que c’est vrai. A la fin de ce discours, notre jeune collègue argentin a posé sa main sur le bras de Brenda, en un beau geste de solidarité. Il a ensuite enchaîné quelques mots, suivi par un jeune archiviste égyptien. C’était un moment fort.

Et là je me suis dit : nous sommes 900 archivistes ici. Il n’y a pas un gourou spécifique que nous sommes venus écouter. Aucun lobby à ce que je sache pour nous offrir des vacances dans les îles en nous demandant de tenir un certain discours (ou alors j’ai raté un truc). Les participants participent aux journées (ce qui implique qu’ils ne sont pas juste là pour vivre de folles nuits et dormir le jour). Pendant les pauses, les couloirs résonnent de discussions au sujet des présentations auxquelles nous avons assisté. D’échanges pointus entre geeks trop heureux de retrouver des pairs proches ou lointains géographiquement. De solidarité car nous vivons tous les mêmes questionnements, de l’Australie au Québec en passant par la Suisse, et arrivons à des conclusions semblables.

Des personnes motivées, convaincues, engagées et passionnées. Qui sont ici, à Gérone, par intérêt pour leur métier. 146 exposés sans publicité pour une marque spéciale, non, des présentations de projets réalisés avec plus ou moins de budget, portés par des personnes qui y croient et qui généralement bricolent au début avec les moyens du bord. La synthèse de réflexions sur les problématiques du moment.

Tout cela confirme davantage ce que j’écrivais dans un précédent billet : j’aime cette profession et les personnes qui l’exercent.

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Crédit photographique: http://www.girona.cat/sgdap/cat/index.php

Archivage électronique à long terme: Implémentation d’une application génératrice de SIP dans un système d’information métier

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Dans le cadre du projet d’archivage électronique à long terme Gal@tae, il a été nécessaire de développer une application génératrice de SIP (Submission Information Package) dans le système d’information métier du producteur de documents. Le processus général de Gal@tae est décrit dans cet article . Nous souhaitons ici nous focaliser plus particulièrement sur cette application.

L’objectif à atteindre est que le service producteur puisse sélectionner les documents qui doivent être versés aux archives définitives directement dans son système d’information et qu’en quelques clics simples le SIP soit généré et prêt à être archivé.

En plus du SIP, l’application doit produire également un fichier XMl contenant les champs de description archivistique propres au SIP. Cette description doit être ensuite intégrée dans la base de données archives (ou AIS) (illustration 1).

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Illustration 1

  •  SIP

Le cahier des charges avait pour base la Spécification du Submission Information Package (SIP) produit par les Archives fédérales suisses (AFS). En effet, les SIP seront dans le cadre de ce projet hébergés sur la plate-forme des AFS.

Un SIP est formé de deux répertoires. Le premier, le répertoire “content”, contient les documents électroniques à archiver. Le second, le répertoire “header”, contient les métadonnées rassemblées dans le fichier “metadata.xml” ainsi qu’un répertoire “xsd” réunissant les schémas XML qui définissent la structure des métadonnées.

  •  Fichier XML de métadonnées descriptives (inventaire)

Les métadonnées de description font l’objet d’un fichier produit par le service producteur et versé en sus du SIP. Les spécifications relatives à ce fichier XML ont été développées en interne (autrement dit par nous les archivistes): il s’agit d’un dictionnaire de métadonnées nécessaires à la description de documents électroniques, à savoir les champs ISAD-G traditionnels ainsi que les métadonnées propres à la description de ce type de documents. Ce dictionnaire a ensuite été transformé en schéma XML. Un composant applicatif permettant d’extraire les données du fichier XML pour les intégrer dans la base de données métier a ensuite été développé.

L’application

Le mandataire a développé cette application pour un système d’information métier sur la base des spécifications des AFS  et du schéma XML  de métadonnées descriptives fourni par les archivistes. Quelques réunions et la mise à disposition d’exemples de SIP  ont permis d’apporter les précisions nécessaires. Le fonctionnement est le suivant:

L’interface du système d’information métier propose une fonctionnalité supplémentaire nommée “module d’archivage”. Une fois qu’un  dossier d’affaire clos, ce dossier apparaît directement dans ce module d’archivage. Un numéro lui est apposé automatiquement.

Le processus d’archivage prévoit la préparation du SIP ainsi que celle du fichier XML de métadonnées descriptives. Le masque de saisie permet une correction des métadonnées, qui apparaissent automatiquement (illustration 2).

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Illustration 2

Une fois les métadonnées vérifiées, les fichiers SIP et XML sont prêts à être générés (illustration 3):

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Illustration 3

Le SIP (Archivage SIP) et le fichier XML de métadonnées descriptives (Archivage AEG) sont livrés dans deux fichiers au format ZIP, qui n’ont plus qu’à être envoyés à l’institution d’archives.

Le projet a demandé 50 jours de développement, dont 25 jours pour le composant de génération du SIP (analyse des données, analyse technique du schéma du SIP et du dictionnaire de données des AEG et développement). 25 jours ont été nécessaire pour les divers essais d’installation et de configuration, la gestion et le suivi de projet avec la direction générale des systèmes d’information, les modifications en cours de projet pour le passage d’un flux connecté avec un webservice à un flux autonome avec écriture des fichiers, les ajustements en fin de projet sur l’interface web et divers autres points.

Le composant développé peut être réutilisé pour d’autres producteurs ou services de l’administration, sans qu’il ne faille reprendre l’entier du développement.

Pour réutiliser le composant, il faut tout d’abord définir le dictionnaire de données pour les attributs métiers (autres que les champs ISAD-G traditionnels) et définir l’organisation des documents dans le répertoire « content » du SIP. Ensuite, il s’agit de développer la partie spécifique du composant qui va lire les données nécessaires.  Les autres fonctionnalités – construire le fichier XML, créer l’archive, etc.- sont disponibles.

Le temps d’analyse et de développement pour l’adaptation de l’application génératrice de SIP à partir de l’application développée dans le cadre du projet dépendra de l’ampleur du contenu traité par le service producteur et des sources de données auxquelles il faudra accéder.

Ce petit billet pour témoigner de notre expérience de développement d’une application SIP creator et de son implémentation dans un SI métier. Sur la base des spécifications et des exemples fournis, il n’y a pas eu de problème particulier pour ce développement.

 

Archivage électronique à Genève: le projet Gal@tae

Les Journées des Archives 2013 organisées par l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique) avaient pour thème: De la préservation à la conservation. Stratégies pratiques d’archivage.

Lors de ce colloque, j’ai présenté le projet d’archivage électronique aux Archives d’Etat de Genève, Gal@tae, dans ses aspects organisationnels et techniques.

Ce texte, qui représente l’état du projet au printemps 2013, est disponible à l’adresse suivante : http://hieretdemain.gonzen.com/2013_galatae_blog.pdf .

Gal@tae est désormais en production. La solution d’archivage électronique des Archives d’Etat est aujourd’hui opérationnelle.

Education numérique à l’école: adultes, ne désertons pas le terrain du numérique!

par Anouk Dunant Gonzenbach

En mars 2013, j’ai publié un petit coup de cœur sur le sujet de l’éducation numérique, en énumérant les axes sous lesquels peut selon moi s’envisager cette problématique dans le cadre d’un projet d’école.

Pourquoi un intérêt pour cette question, en fait ? je pense qu’en tant qu’e-archivistes, nous sommes plus geeks que la moyenne, sensibilisés par notre formation classique en histoire à la pertinence des sources, confrontés aux problèmes de pérennité (de l’image par exemple), actifs sur des réseaux sociaux – même si c’est des réseaux de vieux 😉 – et quand à tout cela s’ajoute le fait d’être parent d’enfants qui commencent à vivre tout cela en live, ça remue.

Depuis, avec deux amies de l’association des parents, nous avons étoffé notre projet d’éducation numérique à l’école et l’avons présenté l’an passé à la direction de notre école primaire (4-12 ans). Le timing tombait à pic et ce projet a pu être associé à celui de l’école, à savoir créer un journal en ligne. A la formation technique sur les outils en ligne prévue pour les enseignants, nous avons proposé d’ajouter une réflexion sur l’éducation numérique, donnée par l’association Action Innocence, selon le dispositif suivant :

  • une soirée « formation parents-enseignants » en deux parties : une présentation et réflexion sur les réseaux sociaux et l’identité numérique, puis une discussion en petits groupes mélangés parents-enseignants sur la « charte éthique » journal (à Genève, une école ne peut pas ouvrir un journal en ligne sans s’être mis d’accord sur une charte rédactionnelle).
  • En automne prochain, deux journées d’intervention d’Action Innocence destinées aux classes de l’école,  qui se termineront par une soirée destinée à tous les parents avec spectacle interactif.

Voici quelques éléments de cette première soirée, animée par Sébastien Gendre, dans une présentation percutante, pleine d’humour et passionnante.

Constatation d’introduction, nous n’avons pas vécu ce que le jeunes vivent aujourd’hui. Ils sont des natifs numériques, nous sommes des migrants numériques.

En 2014, 100% des jeunes de 14 à 19 ans sont internautes, à savoir : ils se connectent au moins trois fois par semaine pour 2 activités distinctes. Il n’y a donc pas de retour possible en arrière, cette réalité fait partie de la vie désormais. Je pensais que cette constatation était un acquis de base pour tout le monde. En fait, non. Entendre cela a été très important pour beaucoup des participants.

Remarque 1 : à la citation de Twitter, Whatsapp, Instagram et SnapChat, la quasi-totalité des personnes présentes ouvre de grands yeux, ce qui me surprend. Facebook seul est connu comme réseau social.

Remarque 2 : l’âge moyen des utlisateurs Facebook est de 41 ans (dans les dents, on savait que c’était un réseau de vieux, mais quand-même…).

Remarque 3 : c’est le grand écart numérique entre les lecteurs habituels de ce blog et les parents et enseignants présents.

L’attrait des enfants et des jeunes pour les TIC : 3 points forts sont présentés:

  • Un mode de communication inédit (discuter avec tous les copains en même temps et en continu 24h/24)
  • La volonté de paraître (parler de soi. Le regard des autres est important plus que tout pour les ados. En réalité ils font ce que nous avons toujours fait, mais avec une audience décuplée et un feedback immédiat).
  •  Le phénomène d’amplification du cercle vicieux (par exemple toute une classe se met dans un groupe Whatsapp mais en excluant deux personnes)

Quel est le problème des adultes ?

Les adultes se sentent dépassés par la technologie et sont tentés de démissionner. Mais quelles sont les compétences réelles de jeunes en matière de numérique ? Ils apprennent vite à se servir de nouveaux outils et à être à l’aise avec un le tout dernier jeu, car ils n’ont pas peur d’essayer, de tout casser et leur mode de fonctionnement est : j’apprends par l’erreur. Ils n’ont en revanche que peu de connaissances technologiques (les composants d’un ordinateur par exemple), et encore moins la mesure des implications sociales.

Et de là découle à mon avis le point central de toute la question, exprimé de manière exemplaire par Sébastien Gendre. C’est pour porter ce point plus loin que j’ai eu envie de rédiger ce billet :

Adulte, parent, enseignant : ne désertons pas le terrain numérique :

Le problème n’est fondamentalement pas celui de la technologie et des machines. Les enfants, les ados ont besoin de développer leur esprit critique, leur citoyenneté et leur capacité à faire des choix. Ils ont besoin de recevoir des valeurs. L’enfant ne va pas se développer sans l’adulte.

  • L’éducation numérique va des adultes à l’enfant : c’est la transmission du savoir-être (valeurs, esprit critique, citoyenneté, capacité à faire des choix).
  • L’éducation au numérique peut aller des jeunes aux adultes: c’est la transmission du savoir-faire (technologie).

En tant qu’adulte, parent, enseignant, il est nécessaire de ne pas déserter le terrain numérique. Les adultes doivent donc se positionner et la question fondamentale est la suivante : comment être à côté des jeunes – ou pas.

Accueillir des enfants de neuf ans aux Archives, est-ce possible ?

par Anouk Dunant Gonzenbach

A l’invitation du blogue Convergence, j’ai écrit un billet qui fait part d’un retour d’expérience sur des visites de mon institution d’archives adressées à des enfants.

Convergence est le blogue de l’Association des archivistes du Québec. Il a pour objectif d’offrir des renseignements sur la profession et la discipline archivistiques (événements, liens, parutions, etc.), de permettre à la communauté archivistique d’avoir une plateforme dynamique pour aborder certaines questions et de pouvoir partager avec des collègues, espérant ainsi encourager la pratique dans l’esprit d’un débat constructif. Les billets qui le composent expriment l’opinion personnelle de chaque auteur et, par le fait même, ne constituent en aucun cas la position officielle de l’Association des archivistes du Québec. Convergence est le résultat de la fusion des blogues Archivistique, Les archives à l’affiche et Archives au présent.

Alors, une visite pour les enfants, possible?

Les musées proposent des programmes famille, des animations et sont intégrés dans les visites scolaires proposées par les départements de l’instruction publique. Pas les archives. À partir de quel âge est-il possible de sensibiliser les enfants à des documents peu iconographiques ? Je me suis posé la question car :

  • les archives font partie du patrimoine culturel au même titre que les musées
  • c’est peut-être la seule fois que les enfants verront des archives
  • un moyen de semer quelques graines ?
  • je pense nécessaire de montrer à la génération née avec un ordinateur connecté que les sources sont ailleurs que sur le web (participation à l’éducation numérique)
  • il faut faire venir un public différent dans nos institutions

… et ai proposé une visite pour une classe d’enfants de neuf ans (en deux fois, pour ne pas avoir plus de douze enfants à la fois). Ce retour d’expérience est à lire ici.

Communauté de pratique en matière d’archivage numérique: la veille professionnelle

Par Anouk Dunant Gonzenbach

A l’initiative de deux collègues engagés dans l’archivage électronique (quel doux euphémisme), une rencontre a été organisée en Suisse romande dans l’idée de mettre en place une communauté de pratique en matière d’archivage numérique, au sein de laquelle se retrouveraient à titre personnel des personnes qui ont affaire à l’archivage électronique au-delà des frontières de notre monde des archives (bibliothécaires, conservateurs, etc.).

 A quels besoins répond la création d’une telle communauté?

Nous ressentons le besoin de créer des synergies parmi nos projets et d’échanger sur des questions pratiques.

Une quinzaine de participants a répondu présent à cette invitation. Nous sommes pour la majorité actifs dans le domaine depuis une petite dizaine d’années et formés sur le tas, ou plutôt auto-formés. Sommes-nous une génération Winkelried, la prochaine bénéficiant d’une réelle formation et engagée comme e-archivistes?

Les études montrent que pour l’instant, les projets d’archivages électroniques ont été pris en main par des personnes dont le critère dominant est la motivation. Cela correspond aux profils réunis autour de la table.

Pour cette première rencontre, nous avons échangé sur le thème des stratégies personnelles de veille.

Force est de constater que personne n’a réussi à mettre en place une stratégie de veille qui fonctionne, car le temps à disposition n’est pas suffisant. Plus personne n’a le temps d’effectuer de la veille sur le temps de travail, alors elle se fait en dehors. Motivés, je vous dis. La discussion en petits groupes a l’avantage de nous permettre de débriefer entre pairs sur nos difficultés (par exemple, quand tu te mailes un tweet au travail pour le lire plus tard, et que finalement tu te le remailes à la maison pour le lire encore plus tard). Nous ressentons également le même vertige devant la multiplication des sujets: tout d’abord il y a eu uniquement l’archivage électronique, puis la problématique de la gouvernance de l’information, puis l’open data, puis les big data…

 Veille : voici notre liste des principales sources d’information:

 Le web

et tout cela et plus en grande partie par : Twitter (dont les très précieux @archiveilleurs)

Les réseaux sociaux

  • Twitter
  • Linkedin (groupes)

 La littérature professionelle

  • Les ouvrages de références (exemple: Françoise Banat-Berger, Laurent Duplouy, Claude Huc, L’archivage numérique à long terme, les débuts de la maturité?, Direction des Archives de France, 2009.)
  • Les revues généralistes (par exemple www.archimag.com)
  •  Les dossiers spécifiques

Les échanges “sur le terrain”:

  • Les colloques et conférences
  • Les réunions de l’association professionnelles (essentiellement les trajets de train et pauses informelles)
  • Les visites d’autres institutions
  • Les collaboration dans des projets trans-institutionnels
  • Les échanges avec les informaticiens dans nos organisations

Le coaching par des groupes d’experts  (Memoriav (patrimoine audio-visuel) , CECO…)

Les réseaux et association professionnelles

Maintenir une pratique personnelle en informatique : les mains dans le cambouis:

  • A domicile, dans les domaines les plus divers possibles
  • Sur le lieu de travail, mais limité par le dispositif de sécurité.

En conclusion, ou plutôt en point de départ de cette communauté de pratique, elle va certainement se développer et s’élargir.  Formalisée désormais (il faut dire qu’on était déjà tous plus ou moins copains par les efforts traversés dans nos cantons respectifs), cette communauté est un solide appui auquel faire appel en cas de doute, de question ou de besoin d’échange.

Mon institution d’archives sur un réseau social: droit d’utilisation des images par Facebook

Par Emmanuel Ducry

Dans le cadre d’une réflexion autour de la mise en place d’un site Facebook institutionnel, nous nous sommes retrouvés confrontés à la question des droits sur les images postées sur Facebook.  Nous vous faisons par ici de quelques-unes de nos réflexions.

1.    Réseaux sociaux et licences non exclusive

Les réseaux sociaux parlent souvent de “licence non exclusive”, c’est-à-dire qu’ils s’autorisent à l’utiliser les contenus déposés selon les dispositions définies dans les conditions d’utilisation, mais sans enlever le droit d’auteur au propriétaire de l’image.

Celui-ci peut proposer ses images sous licence, ou les céder à une autre entité sous ses propres conditions. La licence non exclusive est une pratique courante dans le monde des réseaux sociaux, mais son application varie d’une plate-forme à l’autre.

Le droit suisse reconnait la pratique est l’usage de ces contrats de licences par lesquels l’utilisateur d’un bien immatériel donne à autrui la totalité ou une partie de la jouissance du bien tout en restant titulaire des droits. Très souvent mentionnés[1], mais non définis dans le code des obligations, ces contrats de licence sont un droit innomé définit par la jurisprudence[2].  

2.    Facebook et le droit d’auteur de l’utilisateur

Dans le cas de Facebook, sa “déclaration des droits et responsabilités”[3] donne l’information suivante :

 Art. 2 – Partage de votre contenu et de vos informations

Le contenu et les informations que vous publiez sur Facebook vous appartiennent, et vous pouvez contrôler la façon dont nous partageons votre contenu, grâce aux paramètres de confidentialité et des applications. En outre :

  1. Pour le contenu protégé par les droits de propriété intellectuelle, comme les photos ou vidéos (propriété intellectuelle), vous nous donnez spécifiquement la permission suivante, conformément à vos paramètres de confidentialité et des applications : vous nous accordez une licence non-exclusive[4], transférable[5], sous-licenciable[6], sans redevance[7] et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle que vous publiez sur Facebook ou en relation avec Facebook (licence de propriété intellectuelle). Cette licence de propriété intellectuelle se termine lorsque vous supprimez vos contenus de propriété intellectuelle ou votre compte, sauf si votre compte est partagé avec d’autres personnes qui ne l’ont pas supprimé.
  2. Lorsque vous supprimez votre contenu de propriété intellectuelle, ce contenu est supprimé d’une manière similaire au vidage de corbeille sur un ordinateur. Cependant, vous comprenez que les contenus supprimés peuvent persister dans des copies de sauvegarde pendant un certain temps (mais qu’ils ne sont pas disponibles).

En d’autres termes, l’auteur reste propriétaire de ses images, textes ou vidéos, mais accorde à Facebook le droit de les utiliser gratuitement et comme bon lui semble, y compris céder leurs droits d’utilisation à un tiers contre rémunération. Cependant, une fois les fichiers retirés, la licence non-exclusive prend fin et Facebook ne peut plus les utiliser[8]. Les fichiers peuvent encore rester un certain temps sur les serveurs en attente d’être effacés, mais ne seront plus en ligne ni utilisés par Facebook[9].

3.    Utilisation des contenus par Facebook

Facebook donne quelques indications sur la manière dont ces contenus (images, mais aussi textes ou vidéos) pourraient être utilisés.

Il y a tout d’abord la définition que donne l’art. 18 al. 7[10] de la déclaration des droits et responsabilité du mot “utiliser” :

 “Par « utiliser » ou « utilisation », nous entendons l’utilisation, l’exécution, la copie, la diffusion ou l’affichage publics, la distribution, la modification, la traduction et la création de travaux dérivés”.

De même, l’article 10 de cette même déclaration précise que :

 Art. 10 – À propos des publicités et d’autres contenus commerciaux diffusés par Facebook

Notre objectif est de proposer des publicités, et d’autres contenus commerciaux ou sponsorisés, de façon avantageuse pour nos utilisateurs et nos annonceurs. Pour nous aider à y parvenir, vous acceptez les conditions suivantes :

  1. Vous nous autorisez à utiliser vos nom, photo de profil, contenu et informations dans le cadre d’un contenu commercial, sponsorisé ou associé (par exemple une marque que vous aimez) que nous diffusons ou améliorons. Cela implique, par exemple, que vous autorisez une entreprise ou une autre entité à nous rémunérer pour afficher votre nom et/ou la photo de votre profil avec votre contenu ou vos informations sans vous verser de dédommagement. Si vous avez sélectionné un public spécifique pour votre contenu ou vos informations, nous respecterons votre choix lors de leur utilisation.
  2. Nous ne donnons pas votre contenu ou vos informations aux annonceurs sans votre accord.

En résumé, Facebook informe l’utilisateur, qui donne son accord en signant la déclaration des droits. Facebook est donc libre d’utiliser commercialement le contenu mis à disposition par l’utilisateur pour le revendre.

 4.    Le droit d’auteur et la relation utilisateur à utilisateur sur Facebook

Ces règles définissent les relations qui lient l’utilisateur à l’entreprise Facebook elle-même. Mais quelles sont les règles d’utilisation des contenus entre utilisateurs ? Dans ce cadre, on en revient à une stricte application du droit d’auteur/copyright[11] tel que définis dans les législations nationales et leur application internationale par la convention de Bern de 1971[12].

Il faut donc bien comprendre cette double couche légale en matière de réutilisation des contenus à l’intérieur du réseau social Facebook (comme dans d’autres) :

 –       La relation utilisateur – Entreprise (ici Facebook), définie par la licence non exclusive

–       La relation utilisateur – utilisateur, qui s’exerce dans le cadre du droit d’auteur

Conclusion

 –       Utiliser des images sur Facebook n’empêche pas l’institution de les utiliser par ailleurs. Facebook s’arroge tous les droits y compris celui de les vendre, mais l’institution conserve ses droits et peut faire de même de son côté en vertu de la licence non exclusive.

 –       Les contenus placés sous une licence Creative Commons permettant une réutilisation commerciale (telle que la licence CC0[13]) sont tout indiqués pour une publication sur Facebook. Les contenus libérés sur le web selon cette approche ont le mérite d’offrir les mêmes conditions d’utilisation pour les utilisateurs et Facebook.

 –      Il faut veiller à ne pas poster sur Facebook des contenus sur lesquelles l’institution  n’a pas le droit d’auteur En effet, en vertu de sa “politique d’utilisation des données”, Facebook ne sera pas tenu de respecter le droit d’auteur ou un CC-BY exigé par un donateur. Facebook serait en position de revendre les droits en privant leur légitime propriétaire des redevances associées. Celui-ci pourrait alors se retourner contre l’Etat pour leur mise en ligne sur Facebook.


[1] Exemple art. 62, al. 3 LDA (http://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19920251/index.html#a10 consulté le 24 février 2014).

[2] Mercedes Novier, “La propriété intellectuelle en droit international privé suisse”, Genève, Droz, 1996, p. 179 et suivantes (http://goo.gl/o7wJbK consulté le 24 février 2014).

[4] C’est-à-dire que Facebook et l’utilisateur possèdent simultanément les droits sur cet objet. Si la licence était exclusive, seul Facebook posséderait les droits.

[5] Facebook peut transférer les droits d’utilisation de votre contenu à qui il veut.

[6] Facebook peut octroyer une licence d’utilisation de votre contenu à qui il veut.

[7] Facebook ne nous versera aucune redevance.

[8] Facebook avait tenté de transformer ce droit d’utilisation temporaire en une licence perpétuelle en février 2009 avant de faire machine arrière quelques semaines plus tard devant le tollé provoqué. 

[9] Un certain nombre de points restent nébuleux, notamment la durée de réutilisation par des tiers des contenus sous licenciés ou vendus par Facebook à des tiers.

Dealing with the past – archives et traitement du passé

par Anouk Dunant Gonzenbach

Voici le compte-rendu de la séance du Forum des archivistes genevois du 20 janvier 2014, rédigé pour la rubrique Comptes rendus de Infoclio.ch.

Elisabeth BAUMGARTNER, avocate spécialisée en droit pénal international et cheffe du projet “Dealing with the past” à la Fondation suisse pour la Paix Swisspeace, a présenté le projet “Dealing with the past”, la notion de traitement du passé, ainsi que le rôle des archives dans de tels processus lors de la séance du Forum des archivistes genevois du 20 janvier 2014. Ce projet est mené en collaboration avec le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et les Archives fédérales suisses (AFS).

Le rôle de “Dealing with the past”
On retrouve dans tous les conflits le problème de l’accès aux archives. Le projet “Dealing with the past” a pour but de soutenir méthodologiquement les organisations actives dans les droits humains qui doivent traiter des archives. “Dealing with the past” apporte un soutien technique aux ONG pour améliorer la qualité de l’archivage effectué et pour la numérisation des documents. Cette fondation aide également les ONG à utiliser les documents dans une perspective de travail de traitement du passé quand il n’y a pas de commission de vérité ou de tribunal mis en place. Elle permet aussi de mettre en relation les ONG et les expertises qui existent, par exemple entre l’Argentine et l’Afrique du Sud. Elle offre son expérience pour aider les ONG à faire des demandes de financement.

Le traitement du passé
Elisabeth Baumgartner introduit ensuite à l’assemblée à la thématique du traitement du passé. Pour reprendre les termes du DFAE, les conflits violents, dictatures et régimes répressifs laissent des traces profondes, dues aux violations massives des droits humains, crimes contre l’humanité, massacres et parfois les génocides qui sont perpétrés. Le traitement du passé, la lutte contre l’impunité, la restauration de l’état de droit et la réhabilitation des victimes sont alors au cœur du processus visant la réhabilitation de ces sociétés et la promotion d’une paix durable. Traiter l’héritage des grosses violations des droits de l’homme est l’un des grands défis que rencontrent les sociétés au terme d’un conflit violent. Les recherches suggèrent qu’il y a un lien entre la capacité de traiter cet héritage et le potentiel à créer une paix durable.

Par traitement du passé, on entend ainsi les divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation. Parmi ces processus figurent les mécanismes tant judiciaires que non judiciaires, avec le cas échéant une intervention plus ou moins importante de la communauté internationale, des mesures pénales contre des individus, des indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des mesures d’épuration ou une combinaison de ces mesures.

Selon le DFAE, le concept de traitement du passé trouve son origine dans “les principes contre l’impunité” développés par Louis Joinet, rapporteur spécial à l’ONU, approuvés en 1997 par la commission des droits de l’homme des Nations Unies qui reconnaissent les droits des victimes et les devoirs des Etats dans la lutte contre l’impunité, lorsque des violations massives des droits humains et du droit humanitaire international ont eu lieu.

Swisspeace et le DFAE ont établi un cadre conceptuel pour synthétiser et visualiser le traitement du passé dans une approche holistique à partir des principes de Louis Joinet. Les principes contre l’impunité prévoient la réalisation d’initiatives combinées assurant la réalisation de ces droits et devoirs dans les quatre domaines suivants: le droit de savoir, le droit aux réparations, la garantie de non répétition et le droit à la justice. Les archives jouent un rôle important dans ces quatre domaines.

Elisabeth Baumgartner nous détaille ensuite ces différents droits:

Le droit de savoir
Il s’agit du droit des victimes et de la société de savoir ce qui s’est passé, d’éviter les manipulations et la récurrence des violations. Les Etat ont l’obligation de préserver leurs archives, ce devoir de mémoire est essentiel. Le droit de savoir est également important pour éviter des manipulations et la répétition des violations. Des commissions de vérité et des commissions d’investigation sont mises en place. L’ONU envoie des commissions d’investigation dans des conflits en cours pour établir des faits le plus vite possible, avant que des témoins ne disparaissent. Mais ces commissions n’ont souvent pas d’accès aux archives, voire même pas d’accès au pays: par exemple en Syrie, la commission travaille à distance, en interrogeant les réfugiés. Les ONG effectuent une collecte d’informations sur la violation des droits de l’homme. Au terme des travaux d’une commission d’investigation, une commission de vérité est mise en place. Les commissions de vérité sont dans la plupart des cas des commissions nationales et ont comme objectif d’amener la société à une réconciliation. Il s’agit d’un objectif ambitieux mais aidant dans le processus de transition vers la démocratie.

Droit à la réparation
Les programmes de réparation se basent sur les rapports des commissions de vérité. La réparation non matérielle a un fort enjeu symbolique ; le rôle des archives est essentiel lors de telles procédures. En effet, les victimes ne reçoivent souvent pas de réparation. Il est alors important dans le processus de traitement du passé qu’un lieu de mémoire témoigne des événements. Par exemple au Pérou, des photos de victimes ont été utilisées pour monter une exposition sur les violations commises pendant le conflit armé. En Croatie, aux Philippines ou en Irlande du Nord, des ONG créent des archives orales, complémentaires aux archives existantes pour donner une voix aux victimes. La Coalition internationale des sites de conscience est un réseau mondial de sites historiques spécifiquement destinés à commémorer les luttes passées pour la justice et à réfléchir à leur héritage contemporain. En rendant visible à travers les sources les violations des droits de l’homme qui se sont produites, cette organisation participe au processus de réparation pour les victimes. Au Chili, le Musée de la mémoire dispose d’un centre d’archives et de documentation qui conserve les archives de la commission de vérité ainsi que des archives privées.

Garantie de non répétition
Les institutions doivent subir des réformes pour éviter que les violations ne recommencent. L’accès aux archives du régime précédent est très important pour la garantie de non répétition. Les agents de sécurité impliqués dans des actes illégaux sont remplacés. Le passé des nouveaux agents est soigneusement examiné et pour ce faire on a recours aux archives. Dans la loi relative aux documents de la Stasi par exemple, il est stipulé que les organes démocratiques peuvent consulter les archives pour vérifier si quelqu’un y est incriminé. Beaucoup d’états ex-communistes utilisent les archives pour cette procédure de filtrage institutionnel (vetting).

Droit à la justice
Le droit à la justice englobe les actions civiles et autre mécanismes de règlement de dispute, les tribunaux nationaux, hybrides, spéciaux et internationaux. Les archives sont évidemment essentielles pour les tribunaux nationaux et internationaux qui jouent un rôle dans la justice transitionnelle et qui identifient ceux qui violé les droits de l’homme.
Selon Elisabeth Baumgartner, les travaux des tribunaux nationaux sont les plus intéressants dans les processus de droit à la justice. Par exemple en Argentine, le processus n’a pas été mis en place sous une pression internationale mais a été poussé dans le pays-même. Depuis la fin de l’amnistie, environ deux cent procédures ont été menées dont celle contre les responsables de l’Opération Condor. Il s’agit là d’un procès contre les plus hauts militaires du régime, basé sur les documents réunis par la commission de vérité, la société civile et les ONG. Ainsi, une documentation fournie a pu être réunie (voir le site Memoria Abierta).

La question des archives
Les archives sont l’objet de plusieurs problématiques. Tout d’abord, la destruction sauvage des documents: dans tous les contextes de transition, lorsque le régime en place comprend qu’il va disparaitre il commence alors à détruire les archives. Les commissions de vérité sont toujours confrontées à ces destructions.

Ensuite, le sort des archives créées par les commissions de vérité et les tribunaux nationaux n’est pas réglé. Ces archives contiennent des informations très importantes pour les victimes, mais lorsque les travaux d’une commission ou d’un tribunal cessent, ces archives sont stockées quelque part et oubliées. Au Sierra Leone et au Liberia par exemple, ces documents très importants ne bénéficient plus de l’expertise d’archiviste et des ressources financières nécessaires pour les conserver. Lorsque l’ONU se retire, c’est le rôle de l’Etat de s’occuper des archives, mais ce n’est évidemment pas une priorité. Parfois ces archives sont versées aux archives nationales, mais ce n’est pas forcément la meilleure solution car les victimes, qui en ont besoin pour obtenir des réparations, y ont difficilement accès car les procédures d’accès aux documents sont trop compliquées.

Des pays tiers, souvent grâce aux universités, offrent leur aide pour rendre accessible des documents. Ainsi une université américaine met en ligne des documents provenant du Paraguay. The National Security Archive (Université Georges Washington) analyse des documents produits par les services secrets américains, documents dont les pays sud-américains ne disposent pas, et les met en ligne. La coopération entre ces divers organismes est très importante et permet d’accéder à davantage de sources.

Certains fonds d’archives constitués par des commissions de vérité sont conservés à l’ONU à New-York, mais il ne semble pas que ce soit une bonne solution. En effet, ces archives deviennent très difficiles d’accès pour les victimes.

Il y a enfin la question des archives des tribunaux internationaux: que deviennent ces archives, qui contiennent les archives sources ainsi que les milliers de documents créés par les travaux de la justice? Qui va avoir le droit d’y accéder ? Les archives des tribunaux internationaux sont généralement transférées à La Haye. Comment connecter les pays avec ces documents, et comment financer leur sauvegarde? L’ONU devrait-il avoir une stratégie à long terme pour ces archives?

Autant de questions soulevées par Elisabeth Baumgartner, qui sont à ce jour sans réponse, et qui ont suscité une discussion nourrie à la fin de sa présentation.