Le présent d'hier et de demain

Réflexions sur les archives et surtout l'archivistique à l'ère du numérique (et parfois même un peu de poésie) – Anouk Dunant Gonzenbach

Institutions d’archives publiques de moyenne et petite taille face à l’intelligence artificielle (IA) générative : buzz et réalités

Par Emmanuel Ducry, Xavier Ciana, Anouk Dunant Gonzenbach, avec la relecture attentive d’Alexandre Garcia

INTRODUCTION

Bien sûr, la numérisation et l’accessibilité des données sont des enjeux majeurs ; bien sûr, on parle optimisation de la gestion, de la valorisation et de la diffusion du patrimoine archivistique ; bien sûr, tous les regards, les articles et le monde se tournent vers l’IA. Mais qu’en est-il concrètement de l’apport de l’IA générative dans des institutions d’archives publiques de petite et moyenne taille, à court et moyen terme ?

Avant de rêver en couleurs (bon, nos rêves en vrai ne ressemblent pas du tout à cela) ou de tirer des plans sur la comète, gardons à l’esprit les trois éléments suivants. Tout d’abord l’IA doit être considérée comme un pool de stagiaires efficaces qui font le travail à notre place, mais dont le travail doit être supervisé, contrôlé et relu. Ensuite, tout ce qui passe à travers un produit d’IA externe sort de notre périmètre de sécurité. On ne peut pas lui offrir les données sensibles sur un plateau d’argent.

Enfin, l’IA générative ne connait aucun doute. Elle préférera raconter n’importe quoi plutôt que de laisser un blanc (il s’agit d’un phénomène appelé « hallucination »). Ce qui nous différencie de l’IA, c’est notre capacité à douter. Et c’est un bien précieux.

Pie bavarde et fourmi consciencieuse (IA générative vs IA)

L’IA du quotidien, celles des IA génératives et de leurs grands modèles de langage (LLM) avec leur chatbot intégré, pour ne pas mentionner Copilot ou ChatGPT, n’est pas à confondre avec les modèles d’IA destinés à un machine learning spécifique. On pense ici à la reconnaissance de tumeurs dans l’imagerie médicale ou, dans notre domaine professionnel, à la reconnaissance de caractères manuscrits tels que peut le proposer une application comme Transkribus. Là, l’IA est une machine entrainée pour une tâche particulière, exécutée dans un périmètre clairement défini et plus restreint que celui des IA génératives.

Entre base de connaissances et débrouille

L’IA générative a ses avantages, elle est disponible, là, directement au bout des doigts. Elle n’est pas propre aux archives en particulier, mais c’est celle qui vous permet d’obtenir un mode d’emploi quand on n’y connait rien, une formule Excel ou même un peu de code Python quand votre service informatique accepte que vous y mettiez les doigts[1]. Son usage se heurte vite à des contraintes, surtout si vous ne tenez pas à lui offrir vos données, ne parlons même pas de données personnelles sensibles.

Sur un petit nuage

Les données des institutions conservant les archives publiques sont un trésor pour l’entrainement des LLM. Il s’agit de données souvent libres de droits, contrôlées, validées et exemptes de la création de données générées par l’IA elle-même pullulant désormais sur le web et amenant ces dernières à se nourrir de ce qu’elles ont elles-mêmes généré dans une logique cannibale. Pour les institutions publiques, la présence de données personnelles sensibles, médicales ou de nature fiscale pose le problème de leur récupération lors d’un traitement effectué par des applications situées hors institution (SaaS, cloud etc.). Faut-il pour autant renoncer à ces outils ? Il est possible de nuancer :  utiliser ChatGPT, Copilot et autre DeepSeek ce n’est pas tout à fait la même chose qu’utiliser un outil dans le cadre d’un cloud respectant un contexte légal européen ou national comme peuvent le proposer certains prestataires[2], voire d’exploiter un système d’IA en local pour éviter toute externalisation des données. La solution dépend de la sensibilité des données concernées et des moyens de chacun.

Pas de réduction de coûts, mais des investissements (la question des sous)

De nombreux décideurs recherchent les domaines dans lesquels l’IA permettrait de réduire les coûts. Or, dans les petites et moyennes archives publiques, seule une partie très minoritaire des fonds est actuellement numérisée. Toute mise en œuvre ambitieuse de l’IA, qui aurait pour objectif de s’appliquer à la majorité des documents d’archives, a comme prérequis indispensable une numérisation de qualité et de masse. Pour nombre de ces institutions, l’usage de l’IA va donc commencer par des investissements en matière de numérisation. Solution locale ou outsourcing, rien n’est gratuit ! Désirable ou non, la numérisation à large échelle des archives requiert un engagement financier important.

Cela posé, nous proposons un modeste petit tour de la question non exhaustif au travers des quelques thèmes suivants.

IA GENERATIVE ET ARCHIVES

Reconnaissance de caractères et transcription de documents papier numérisés

On l’a dit, pour fonctionner, l’IA a besoin de données. Par conséquent, dans des institutions qui conservent des siècles de documents papier, sa première tâche sera d’assister à la reconnaissance de caractères et à la transcription des documents sur support physique dans des versions numériques qui permettront à l’IA de développer tout son potentiel.

Cela concerne la reconnaissance de caractères imprimés, mais surtout celle des caractères manuscrits, offrant ainsi la possibilité d’utiliser les technologies contemporaines au-delà de la couche des documents du 19e et 20e siècle, en atteignant les documents les plus anciens. L’apport des modèles d’IA basé sur du machine learning spécifique apporte un réel changement à des projets existants (on pensera à Transkribus[3]) tout en suscitant des initiatives nouvelles dans le cadre de départements d’informatique ou des humanités numériques comme avec le projet FONDUE au sein de l’Université de Genève[4].

Génération de descriptions et d’inventaires

Une fois les corpus de textes disponibles en version numérique, l’IA générative peut alors aider, n’oublions pas qu’il s’agit d’un stagiaire, à créer des résumés automatiques et des inventaires. Pour ce qui est du né-numérique, l’IA deviendra un auxiliaire indispensable pour décrire et accéder à des ensembles contenant des documents par millions[5].

Normalisation des données

Dans le cas d’anciens inventaires papier, il s’agira de les normaliser selon des logiques -on pensera notamment à la transition d’ISAD(G) vers RiC- permettant leur ingestion dans les bases de données métier contemporaines (Archive Information System). Ces documents, aux structures parfois venues du passé, tels tous les inventaires réalisés jusque dans les années 1980, ne sont pas toujours aisément solubles dans le monde normé du 21e siècle. Une simple opération de normalisation de milliers de formats de dates, dans toutes leurs variétés, n’est pas une mince affaire[6]. En première entrée, le calendrier révolutionnaire est propice à de belles hallucinations et il faut expliquer à notre stagiaire que, oui, il faut conserver la différenciation entre les calendriers julien et grégorien lorsque nos prédécesseurs se sont donné la peine de la faire figurer.

Amélioration de l’indexation et reconnaissance d’entités

L’IA permet notamment de sortir d’un corpus de texte des métadonnées liées à la géographie, aux noms et fonctions des individus, compléter et améliorer l’indexation des contenus graphiques, sonores et textuels existants. L’idéal est alors de disposer de listes d’autorités permettant de reconnaître et d’identifier de manière univoque les lieux ou les individus à travers leurs titres, leurs noms de terre, leurs fonctions, en les distinguant des homonymes potentiels. Encore faut-il disposer de ces référentiels, très spécifiques aux territoires auxquels ils sont attachés et qui ne sont pas simples à réaliser. Il restera à voir si les outils IA permettent de concrétiser la mise en ligne de documents contenant des données personnelles sensibles à travers un caviardage automatisé[7]

La traduction : une tour de Babel en dentelle de silicium

L’IA permet de traduire automatiquement des métadonnées, des flux audio ou même des documents entiers dans plusieurs langues vous ouvrant ainsi les portes du bar de la plage, de la place ou de la mer de glace à peu près n’importe où sur la planète[8]. Il est vrai que la traduction de documents anciens est d’une autre complexité. Il n’empêche que les recherches actuelles démontrent des capacités de transcriptions tout à fait captivantes sur des manuscrits en langues anciennes, ouvrant ainsi de nouvelles portes d’accès au public. Il faut toutefois prendre en compte que ces recherches sont effectuées sur la base de modèles d’IA puissants que les ressources financières et informatiques des institutions d’archives petites et moyennes ne leur permettront pas d’acquérir, du moins pas dans l’immédiat[9].

Encadrer la reconnaissance de caractères : exigence quand tu nous tiens

Digne héritier des lettres, lorsqu’il s’agit de publications et de mises en ligne, le monde des archives a plutôt la Pléiade pour modèle. Autrement dit :

Peut-on expédier en ligne,
la production du stagiaire,
sans qu’un humain agréé,
y ait posé ses yeux dignes ?

La faute de frappe comme de grammaire étant en général mal vécue, mon IA préférée me prédit des débats animés ! On notera toutefois des manières nouvelles d’encadrer l’erreur de reconnaissance de caractères comme le montre ce projet de numérisation des dossiers de sorcellerie et de procédures criminelles de l’ancien évêché de Bâle[10].

PERSPECTIVES

On peut toujours rêver

Bien sûr les outils vont s’améliorer, les coûts vont diminuer et avec le temps certaines réalisations aujourd’hui hors de portée deviendront possibles pour nos institutions. On peut rêver d’avoir à disposition des interfaces permettant d’améliorer l’accessibilité des fonds d’archives en proposant des systèmes de recherche sémantique plus performants, capable de comprendre le contexte d’une requête et de proposer des documents pertinents, même si les termes exacts ne correspondent pas. Ou de produire des contenus attractifs à partir de ses collections tels que des expositions virtuelles ou même des narrations interactives basées sur des documents historiques, de gérer ou recréer des systèmes de classement entier. Oui, on peut toujours rêver avec James Lappin[11] ou douter avec Baldur Bjarnason[12] et Lionel Dricot[13] mais en la matière, il faut s’attendre à un écart entre les promesses de la recherche et le quotidien immédiat des archives.

Ça fume : conclusion temporaire

Il y aurait de quoi faire un billet entier sur le thème des externalités négatives de l’IA générative. Pas seulement le coût écologique souvent mis en avant, mais également les multiples biais de données, le mépris pour le droit d’auteur et on en passe. L’utilisation de ces systèmes n’a rien d’anodin et avoir conscience des limites et préjudices permet de mieux cerner son usage. L’Université d’Ottawa en fait une présentation détaillée, nous vous invitons à suivre le guide[14].

Il s’agit ainsi d’un nouvel outil, avec ses limites, résolvant un certain nombre de missions ponctuelles. Si l’IA ouvre des perspectives intéressantes, elle ne change pas à notre sens le paradigme archivistique.

Avril 2025


[1] Yonathan Seibt (Archives de la construction moderne – EPFL), “Introduction théorique et pratique sur les bases de l’IA et applications simples I” [consulté le 28.02.2025]

[2] AI Tools – Intégrez des services d’IA souverains pour vos applications | Infomaniak [consulté le 24 mars 2025]

[3] Transkribus – Unlocking the past with AI [consulté le 24 mars 2025]

[4] FoNDUE – Une infrastructure HTR pour Genève – Humanités numériques – UNIGE [consulté le 24 mars 2025]

[5] Lise Jaillant, Arran Rees, « Applying AI to digital archives: trust, collaboration and shared professional ethics », in Digital Scholarship in the Humanities, Volume 38, Issue 2, June 2023, Pages 571-585, https://doi.org/10.1093/llc/fqac073 [consulté le 28 février 2025]

[6] Barbara Galimberti (Archives de la construction moderne – EPFL), “Introduction théorique et pratique sur les bases de l’IA et applications simples II” [consulté le 27.02.2025]

[7] Alcides Alcoba, Paige Hohmann and Jim Suderman, « Datafying Archives for Privacy Protection », in Artificial Intelligence and Documentary Heritage, ed. by Luciana Duranti and Corinne Rogers, CEaR Newsletter 2024 [consulté le 28.02.2025]

[8] Des traducteurs Vasco pour toutes les situations [consulté le 25 mars 2025]

[9] Alcides Alcoba, Paige Hohmann and Jim Suderman, « Datafying Archives for Privacy Protection », in Artificial Intelligence and Documentary Heritage, ed. by Luciana Duranti and Corinne Rogers, CEaR Newsletter 2024 [consulté le 28.02.2025]

[10] Archives de l’ancien Évêché de Bâle – Transkribus [consulté le 24 mars 2025]

[11] Records management before and after the AI revolution – Thinking Records [consulté le 24 mars 2025]

[12] Generative AI: What You Need To Know [consulté le 24 mars 2025]

[13] Lionel Dricot, La fin d’un monde ? blog ploum.net [consulté le 9 avril 2025]

[14 Coûts de l’IA générative – Intelligence artificielle (IA) générative – Guides de recherche · Research guides at University of Ottawa [consulté le 24 mars 2025]

Archives, avec attention – émotion, technicité et galette saucisse – #aafrennes2025

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Florilège de phrases, de réflexions, de découvertes, léger reflet de tout ce qu’il y a derrière chaque mot, puissance d’une profession qui s’engage,

A l’extérieur, la place Sainte-Anne, ses étudiantes et étudiants, cette jeunesse, le manège, les terrasses au soleil (ou pas au soleil),

Dedans, dans le couvent des Jacobins, mille archivistes « énervés », selon les étudiant.es d’Angers, et Yanis qui est tout le temps en retard, mille archivistes qui ne savent plus où donner de la tête, il y a toujours trois sessions en parallèle et tous les ateliers,

Captation de quelques impressions, à chaud, le fond est derrière.

Le thème, « Avec attention. Archives, archivistes et usagers ». « L’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité », Simone Weil avec nous dans le grand auditorium dès le début.

Une marée d’archivistes en marinière.

Sourcer des informations pour éclairer des vérités ou des contre-vérités, l’actualité du dehors est dedans, beaucoup. Bruno Ricard : « le rapport à la vérité est plus fragile qu’autrefois », lutte contre la désinformation, références aux fausses nouvelles, à la question de la diplomatique dans l’immédiateté. L’Outre-Atlantique pèse, je crois que cela nous fait un bien fou d’en parler ensemble, tous ensemble, entre professionnel.les de l’information.

Autour du cou, pour tenir les badges, des colliers à graines. Des bombes à graines en devenir. Des milliers de fleurs qui repartent aux quatre coins de la France et de Navarre, et même plus loin, et nous les sèmerons en Suisse. Et Yanis qui est tout le temps en retard.

Le numérique, la technicité (j’ai moins assisté), le risque de devenir datadriven, more data less process. Mais non, c’est dit, sur scène, il faut ralentir. Réflexivité, de plus en plus. Peut-être que de forum en forum, c’est une des choses qui évolue, le pas de côté sur les possibilités du numérique, sur ses enjeux, sur la manière de l’utiliser. A creuser.

Place Sainte-Anne, à la fin de la journée, partager une bière avec des collègues tout juste rencontrés, de Lyon à Poitiers sur une terrasse, ce constat, toujours, mais on vit la même choses, les mêmes questions, les mêmes difficultés dans la communication de dossiers à des personnes concernées, le même engagement (encore), on veut répondre à la personne qui demande, on veut arrêter qu’elle soit baladée d’un service de l’administration à un autre, on prend sur nous, on dépasse notre périmètre. Les archivistes en goguette qui se parlent en vérité, direct.

Aborder l’archive comme une infrastructure (il faut que tout bouge pour que rien ne change) , Anne-Laure Donzel et Julien Benedetti ouvrent des perspectives. Citent le philosophe Marcello Vitali-Rosati, « choisir le low tech n’est pas la solution de quelqu’un qui ne serait pas assez compétent pour utiliser une technologie plus avancée, mais au contraire le choix d’une personne très compétente ».

La galette saucisse, la découverte d’une ville, la générosité de la réception, l’organisation incroyable, l’engagement de celleux qui ont permis cela, la réception dans les salons de l’Hôtel de Ville, avec un discours engagé qui vient des tripes, on peut le relever, une exception je dirais parmi tous les politiques que l’on a entendu dans ce genre d’exercice.  

Le couvent des Jacobins, on valide l’esprit du lieu, comme Claire Larrieux (immense merci à elle et à son équipe). Les tooteureuses se retrouvent dans le jardin du cloitre. Photo. En marinière. Magique.

La question de l’engagement, présente sur tous les podiums, pendant toutes les pauses. Nous avons un métier propice à l’engagement et aux interrogations. « Il est impossible de ne pas s’engager vu notre métier et notre caractère », Jeanne Mallet le dit pour nous, « engagé – enragé ». Très belle table ronde sur l’engagement donc, les freins sont évoqués : le devoir de réserve et de neutralité. Réfléchir à l’activisme, aux archives en tant qu’objet politiques, les luttes sont politiques, on attend vraiment le texte de Céline Guyon, Hélène Chambefort et leur équipe.

Les conditions d’accès aux archives, un marqueur fort du degré de démocratie.

Ça revient partout, le rôle politique, le rôle politique des archivistes, « on est pas que des techniciennes et des techniciens », martèlent Christine Martinez et les « treize Occitans ».

Découvrir une ville avec des archivistes, je ne sais pas si on peut avoir plus de chance. De la manière dont manifestent les marins pêcheurs aux explications sur les Champs Libres, des portes mordelaises à la révision du procès Dreyfus, de Condate à la galette saucisse (je suis allée tester samedi sur le marché des Lices, je valide).

Réparer par les mémoires.

Créer du sens. Créer du sens sur le disensus, c’est plus compliqué que sur le consensus où on risque de créer du faux sens. Alors la prison est un bon exemple pour cela. Attention réciproque entre archivistes, historiennes et professionnel.es de la santé en détention. Le projet éclairant de Fanny Le Bonhomme.  

On danse ensemble, lalalalalalalalalalaleno, le cercle circassien, le galop nantais inoubliable, on danse en groupe, moment de joie.

Le désir d’archives, l’usage artistique des archives, c’était mon sujet cette fois alors je m’y arrête un peu car se pose à un moment la question de l’objectif, qui serait de donner grâce aux artistes l’accès aux archives au plus grand nombre. Mais peut-on s’arrêter à cette définition sans faire un pas plus loin, pourquoi, pour finir, ce besoin de donner accès au plus grand nombre ?

Une réponse à chaud. Un des grands moments de ces trois jours, la pièce « Jouer l’archive, octobre-décembre 1940 » . Nous sommes autour d’une table avec les comédiens, c’est assez intime, une quarantaine de spectateurs. Nous somme le 16 décembre 1940 à Vichy. Des hauts fonctionnaires, issus de tous les départements ministériels, débattent autour de nous, en vraie séance, des modalités d’application de la loi du 3 octobre 1940 portant sur le statut des juifs. Trois jours plus tard, toute personne « regardée comme juive » se verra exclue de la fonction publique. Les dialogues proviennent des procès-verbaux.

Nous sommes glacés, fascinés. Une pièce salutaire. Parce que nous archivons le passé, nous archivons le présent, et ça recommence, en boucle, l’humain n’apprend rien. Les politiques expriment des excuses publiques, des mémoriels sont construits, et ça recommence, et nous archivons encore et encore. Alors mettre au grand jour le pire par une pièce de théâtre immersive construite de manière si intelligente, c’est nécessaire, c’est une bulle d’espérance, une transmission salutaire. Donner accès aux archives au plus grand nombre par le théâtre par la danse, par la photographie, par l’exploitation artistique, pour dénoncer, pour rappeler, pour avancer.

Comme poésie, aussi. « Et je me fis nomade », Karelle Ménine donne la voix à Isabelle Eberhardt, sur les murs de la ville. Emotions.

Le lien est fait, Agnès Vatican le souligne à la cérémonie de clôture, parce que c’était ressorti partout. « Articuler la technique avec les émotions ». Allier la technicité aux émotions. Ou le contraire.

Et Yanis, on ne sait pas s’il sera toujours en retard. Mais je sais que cette équipe de jeunes est formidable. Que prendre le temps, ces trois jours, pour se perfectionner, se mettre à jour sur les recherches et projets en cours, pour creuser encore et toujours la question du sens de notre profession au regard des actualités techniques et sociales, est essentiel. Qu’après 25 ans dans cette profession, je suis plus convaincue que jamais. Que cette communauté est exceptionnelle. Sur le terrain. Engagée. Qu’elle paie régulièrement de sa personne. Merci du fond du cœur à l’Association des archivistes français (AAF) de permettre ces rencontres.

Comme émotion, le slam de poésie archivistique, j’ai versé une larme.

Avec attention.

30 mars 2025

Merci aux Archiveilleurs!

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Je ne sais plus exactement quand la profession a commencé à bloguer, puis à facebooker et tweeter ce qui se passait par-ci par-là. Je me rappelle juste qu’un jour, en plus de la lecture des revues professionnelles, j’ai commencé à faire des listes de sites internets favoris, à les copier-coller entre le bureau et la maison, à me discipliner pour y faire un tour une fois par semaines (je ne comprenais encore pas bien les flux RSS), à commencer à flipper parce que je n’y arrivais pas, à m’extasier devant les Tweets qui nous ouvraient en direct sur l’actualité de nos collègues, à paniquer à mort parce que je n’arrivais pas à suivre, à m’envoyer par e-mail les liens de ces Tweets pour ne pas les perdre et les lire plus tard, à devenir dingue parce que je n’y arrivais pas non plus…

… et les Archiveilleurs sont arrivés. Discrètement au début, avec déjà un graphisme d’enfer. La fameuse image des gens avec les jumelles. Un trésor, une mine d’or. Tout était là, et on pouvait leur proposer des liens. Une veille professionnelle exceptionnelle (à l’image de la profession hein).

archiveilleurs

Et cela fait déjà 10 ans exactement, déjà, nous apprennent-ils dans un billet du 26 avril 2020. Chères et Chers Archiveilleurs, je vous remercie du fond du cœur pour ce flux d’information, qui n’a pas d’équivalent. L’article d’Alexandre Garcia  – aka soulap, l’un des piliers –  qui annonce cet anniversaire est à l’image de cette action, les illustrations toujours d’enfer.

Je pense que les Archiveilleurs ont toujours leur place dans le monde archivistique et en sont d’ailleurs devenus une pièce indispensable. Je pense que cette activité de veille est toujours pertinente et utile à notre communauté.

Merci à vous sincèrement, archivistiquement et pour encore longtemps je l’espère!

Covid-19, solidarité archivistique, poussière et FFP2

par Anouk Dunant Gonzenbach

Depuis bientôt vingt ans, je prends mon bâton de pèlerin d’une main et mon sabre laser de l’autre pour dépoussiérer notre profession, car tout le monde nous imagine enfermés dans des caves pleines de vieux documents tous gris et nous aussi gris qu’eux, nous, les archivistes.

Médiation avec les enfants, médiation numérique, archivage électronique, trésors merveilleux, parchemins émouvants, dossiers personnels comme traces de vies oubliées, preuves des activités de l’Etat, de la couleur et et et mon chignon destructuré et mes lentilles de contact.

Paf là d’un coup bizarrement, c’est aujourd’hui grâce à la poussière (il ne faut pas se cacher la vérité, il y en a quand-même, en vrai, de la poussière, bien sûr) que les archives peuvent apporter une toute petite pierre à l’édifice. Pour traiter les fonds qui entrent dans nos dépôts avec de la poussière, ou pour nous protéger lorsqu’il y a des moisissures sur les documents, nous utilisons des masques (même des FFP 2 et 3 car il ne faut toujours pas se cacher la vérité, de la poussière, il n’y en a pas qu’un peu), des gants, des charlottes et des surblouses.

Beaucoup de nos institutions possèdent donc des stocks –certes modestes- de ce matériel qui a pris une valeur que personne ne pouvait soupçonner il y a quelques semaines. Les Archives se sont donc mobilisées pour le mettre à disposition des hôpitaux. Plusieurs institutions ont également détaché des archivistes, vu qu’on est spécialisés dans la gestion documentaire, dans les états-majors des dispositifs de crise cantonaux.

Au niveau de l’Association des archivistes suisses (AAS), un appel à la solidarité a été lancé :

 vsa-aas

A la Chaux-de-Fonds, les institutions archivistiques et muséales ont lancé un défi Facebook #FileTonMatos:

defi-fbTout cela a essaimé chez les GLAM suisses (on est glam’ vous saviez pas ? Galleries, Libraries, Archives and Museums). Partout dans le monde, les archives se sont mobilisées :

 arch_dep_seine

Il y a même eu un article dans Paris-Match:

paris_match

Et comme nous avons un humour archivistique très particulier, je ne résiste pas à relayer le tweet de nos collègues du Borthwick Institute for Archives de l’université de York (merci @souslapoussiere pour le repérage) :

york

Enfance placée, enfance volée. Le travail de l’archiviste en Suisse

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Du 3 au 5 avril 2019 a eu lieu le Forum des archivistes français à Saint-Etienne sous le thème: Archives et transparence, une ambition citoyenne (riche et passionnant, comme toujours). Dans le cadre de la session « Quels sont les besoins de la société civile en matière d’archives », Pierre Flückiger et moi-même avons exposé le sujet suivant: « Retracer le passé de victimes : la gestion de l’impact émotionnel sur les archivistes ».

Le résumé de ce texte est le suivant:
Jusqu’au début des années 1980 en Suisse, des mesures de coercition à des fins d’assistance et de placements extrafamiliaux ont été prises à l’encontre d’enfants et de jeunes. Ces enfants ont été très souvent maltraités dans les institutions ou familles d’accueil auxquelles ils avaient été confiés. Depuis quelques années, nous avons assisté à une prise de conscience de l’opinion publique, qui a amené le Parlement à adopter en 2017une loi prévoyant que les victimes de ces placements puissent bénéficier d’une contribution de solidarité. Cette loi donne pour mission aux archives publiques de reconstituer les parcours individuels de ces personnes afin de fournir les preuves des placements.
Les archivistes se retrouvent ainsi en contact avec des personnes qui cherchent à combler les trous dans leur passé et effectuent les recherches permettant d’étayer leur demande d’indemnités. Ils sont ainsi confrontés très régulièrement à des situations émotionnelles particulièrement difficiles, qui peuvent, parce qu’elles sont très fréquentes, déclencher des symptômes post-traumatiques.
Le métier d’archiviste ne forme pas à la gestion de ces situations particulières. Ce retour d’expérience montre comment développer des compétences qui aident à préserver la santé à court et moyen terme des archivistes confrontés à ces situations et comment à l’avenir notre profession peut et doit s’y préparer.

Ce texte a été publié dans le n. 255 de la Gazette des Archives.
A. Dunant Gonzenbach, P. Flückiger, « Retracer le passé de victimes : la gestion de l’impact émotionnel sur les archivistes », in Archives et transparence, une ambition citoyenne, La Gazette des Archives, n. 255, (2019-3), pp. 88-98.


Mon propre regard en prose libre:

Enfance volée

« Je m’appelle Lucie Henri je suis née le 3 mai 1951 je vous remercie de me faire parvenir mon dossier. » Message parmi les centaines de messages identiques adressés aux Archives du canton.

Elle cherche à combler les trous de son passé. Elle imagine que son passé est rangé sur une étagère par ordre alphabétique. Elle espère que les blancs qui désordonnent son enfance seront comblés par des feuilles de papier bien organisées. Un accès à l’enfant qu’elle a été, à des souvenirs qui manquent, à ces trous de son passé.

Son passé est celui d’un enfant placé. Il y en a beaucoup, mais chacun est particulier. Un passé souvent en partie effacé, un enfant abandonné, un enfant trimballé de famille d’accueil en foyer, un enfant effroyablement désemparé, un enfant qui ne comprend pas, qui a oublié.

Celle-ci a été déposé par sa mère comme une valise sur un au bout de la rue. Celui-ci a été sacrifié par la mère en faveur du beau-père qui pourtant le battait. Celle-ci a été arrachée à une mère qui ne proposait pas de père. Il y a celui qui avait des parents qui ne savaient pas faire. Celle qui avait trop de frères et sœurs. Celui qui était seul mais de trop. L’enfant veut toujours ses parents, la réciproque n’est pas vraie. Les histoires se ressemblent et sont uniques.

Alors, des draps déchirés tous les soirs dans le dortoir, des cordelettes qui frappent, des accueils qui baissent les bras, des assistantes sociales qui se démènent dans un monde encore fait de machines à écrire et de téléphones à fil, des foyers surchargés, une main-d’œuvre à laquelle on renonce car un saisonnier coûte moins cher, des failles dans le sytème, un système avec des personnes à responsabilités qui les fuient, d’autres qui les prennent, rien n’est jamais noir ni blanc, mais quand c’est noir, comme c’est noir, elle a deux  ans et demi et douze placements, le manque ne sera jamais comblé.

Une enfance volée, un avenir jamais réparé, il y a ceux pour qui si, il y a ceux pour qui non, mais pour tous, la voix tremble aujourd’hui en l’évoquant.

Son passé n’est pas dans un dossier numéroté sur un rayon identifié. Son passé, l’Etat a décidé de l’indemniser. Alors il faut le prouver. Une opportunité ainsi de se l’approprier. Mais son passé n’est pas dans un dossier numéroté sur un rayon identifié.

Ce qui reste, il faut le rassembler, une partie sur des étagères ici, une partie dans un foyer qui aurait par chance conservé des documents là-bas, une partie dans des archives scolaires, dans un registre de jugement de divorce, dans un carnet de santé, dans une décision de justice, une minutieuse enquête pour chacun en particulier. Rien n’est caché, une fois trouvé, tout est montré. Mais l’histoire se fait sur ce qui a été conservé. Alors pas pour tous, des traces sont trouvées.

Des traces officielles, des traces administratives, ce qui a été laissé dans les dossiers. C’est une version de l’histoire, un côté de l’affaire, les traces ne sont jamais objectives. Mais traces elles sont.

On lui a volé son enfance, des mots à l’encre sur une feuille ne vont pas la lui rendre. Mais comprendre, boucher des trous, lire le vide, c’est restituer un peu. Elle tremble, elle tourne les pages des dossiers, elle se raccroche à une ligne, elle pleure. Elle a fait la démarche, elle a franchi la porte, elle a pris sur elle, et maintenant elle lit. Ça confirme des éléments, ça valide des sensations, ça détruit des illusions, ça fait tout remonter. Beaucoup savent aussi qu’ils ne pourront le supporter, alors ils n’ont pas demandé.

Elle referme le dossier. Une enfance volée. Elle a soixante ans, c’est toujours resté béant.

Anouk Dunant Gonzenbach, mars 2018

Les documents du Service des tourniquets ou comment faire un e-learning sur les archives

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Depuis de nombreuses années, les Archives d’Etat de Genève proposent un cours de deux jours, deux fois par année, aux collaborateurs de l’Etat qui s’y inscrivent (à raison d’une vingtaine de participants par session). L’objectif est de présenter cette institution et de sensibiliser les participants à l’importance de la gestion documentaire.

Au fil des années, numérique oblige, les cours se sont modifiés et étoffés. Alors comme tout ce qu’on fait depuis de nombreuses années, et que tradition n’est pas synonyme de fossilisation, on a décidé de revoir entièrement ce cours avec la méthode de la spirale (fixer le macro-objectif, les objectifs qui en découlent, les contenus nécessaires pour atteindre le tout, et décliner tout cela à travers les différentes interventions qui ont lieu sur ces deux jours).

A cette occasion, le Service de formation de l’administration nous a proposé de réaliser un e-learning sur les archives, qui fonctionnerait comme un préalable à la formation en présentiel.

Une offre très tentante, mais est-ce bien raisonnable en ces périodes de folie dans lesquelles notre temps est consacré à vérifier la qualité des SIP, des version des PDFa-1, des nommage des fichiers et des images numérisées en plus de tout ce que faisaient nos pères en archives depuis la nuit des temps ?

Et bien si, c’est raisonnable, puisque cela va contribuer à amener de l’eau à notre moulin, renforcer notre bâton de pèlerin (devenu sabre-laser depuis) et dépoussiérer notre chignon déjà destructuré, et de toutes façons, depuis quand les archivistes passionnés sont-ils raisonnables ?

La réalisation est confiée à une agence de digital learning, qui va conduire ce projet. Cela signifie pour nous –une super collègue à l’origine de la motivation sur cette affaire, deux archivistes de département et moi-même- de participer, accompagnées par deux personnes du Service de formation de formation, à quatre demi-journées de travail lors desquelles nous allons devoir expliquer notre métier et l’importance de la gestion documentaire à nos interlocuteurs. Cela peut paraître fastidieux vu comme ça, mais vous voyez l’aubaine, quatre demi-journées à parler de notre travail ? Sous la conduite douce mais accrochée à son cap de la directrice de l’agence, ni le nord ni les objectifs ne se perdent en route. Le public-cible de cet e-learning reste bien l’ensemble des collaborateurs de notre administration.

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Comme scénario fictif, nous créons le service des tourniquets de l’Etat, lequel a été pourvu d’un plan de classement, d’un calendrier de conservation et d’une mission légale qui intéressera des dizaines de chercheurs du futur. Un peu de poésie ne fait jamais de mal.

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Nos deux collègues du Service de formation et l’agence de digital learning se sont trouvés un peu désemparés: le cycle des documents et les archives ont commencé à les intéresser, à les intéresser même beaucoup, même que maintenant ils nous disent qu’ils ont la pression dès qu’ils créent un document (ça vous étonne ?).

Alors voilà  le résultat d’un projet passionnant, mené à bien en un temps record et qui répond à nos objectifs de départ. On va voir maintenant comment va se passer son cycle de vie.

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Découvrir des archives en maillot de bain

Par Anouk Dunant Gonzenbach

Présenter des archives à un public en maillot de bain, ça, c’est fait ! Et pas n’importe lesquelles, les documents relatifs à la Réforme à Genève datant de 1536 ! Histoire d’une belle aventure, décidément, je l’aime, cette profession :

En 2017, l’Europe a fêté les 500 ans de la protestation de Martin Luther contre les indulgences (octobre 1517). Les Archives d’Etat de Genève ne pouvaient pas passer à côté de ces commémorations, même s’il ne s’est pas vraiment passé quelque chose dans notre cité avant le début des années 1530. Nous étions de plus en plein projet de numérisation et de restauration des archives de l’Eglise protestante de Genève. Deux bonnes raisons pour préparer une exposition sur le sujet. Nous avons réuni alors un collectif d’historiens et avons choisi ensemble d’illustrer non pas la vie de grands hommes (autrement dit de ne pas axer le tout sur Calvin) mais la vie des gens, et de montrer que l’agitation religieuse émane d’une mobilisation collective et pas de la volonté d’un réformateur.

En d’autres mots, montrer comment les Genevois ont été acteurs de la Réforme et l’ont vécue dans leur quotidien. D’où le titre : « Côté chaire, côté rue. La Réforme à Genève 1517-1617 » (vous l’aurez remarqué, on triche avec cette date de 1517, mais c’est plus clair pour s’inscrire dans le contexte 2017).

Cette exposition a abordé le sujet par différents thèmes : les enfants, les femmes, les chants, l’espace public, etc. et a montré comment les archives se font l’écho de l’activisme, des résistances ou de l’adaptation des acteurs, et soulignent les changements réels ou mythifiés de la Réforme. D’ailleurs, la Réforme a été proclamée avant l’arrivée de Calvin à Genève, par exemple.

Cette expo, accompagnée par un site sous forme de storymap (voir ici),  a eu un grand succès (en toute objectivité) et de nombreuses visites guidées ont eu lieu.

Vers la fin de cette année 2017, un ami pasteur (Jean-Michel Perret, qui vient de créer un ministère pionnier « sans le seuil » proposant en complément de l’offre traditionnelle de l’Eglise des événements décalés dans l’espace public), m’a fait une constatation certes polie mais en substance son message était le suivant : « elle est bien ton expo, mais si tu veux que les gens la voient il faut la mettre dans le rue et pas seulement dans la ville haute ». Voyant venir les nuits blanches de travail pour réaliser un tel projet, je l’ai envoyé sur les roses.

Pas pour longtemps, car son intuition une fois de plus était juste. Allons-y carrément, pourquoi ne pas « Rendre la Réforme aux Genevois » et le patrimoine qui leur appartient dans l’endroit fréquenté et populaire que sont les Bains des Pâquis ?

Les Bains des Pâquis  à Genève, c’est comme le jet d’eau et l’horloge fleurie, un lieu phare, sauf que ça vit. Et à l’entrée, il y a un mur sur lequel tourne une fois par mois une nouvelle exposition. Parfait. Ne reste plus qu’à trouver le budget, adapter l’expo de base et refaire les textes, un nouveau graphisme, convaincre la commission culturelle des Bains qu’il s’agit d’histoire et non de prosélytisme et trouver un sens juste à ce projet.

Pour le budget, nous remercions trois fondations privées genevoises. Pour l’adaptation de l’expo de base, les historiens ont été d’accord pour la réutilisation et la relecture des textes. La commission culturelle des Bains est géniale. Pour le sens, Jean Stern, artiste,  a choisi de « prendre les documents d’archives par la main ». Il a transporté fictivement les documents d’archives dans les espaces qu’ils convoquent pour que ces documents puissent trouver un pouvoir d’évocation et une présence dans notre aujourd’hui. Le titre de cette nouvelle exposition en découle : « Côté chaire, côté rue, côté sens. Rendre la Réforme aux Genevois».

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Alors voilà, une exposition qui rend la Réforme aux Genevois d’aujourd’hui, la met à portée de tous et casse plein de clichés (ben oui, les Genevois n’ont pas filé si droit que cela) dans un lieu décalé pour un tel sujet, ohmondieu, des registres d’église et des procès-verbaux du Conseil de 1536 sur les murs des Bains !

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Pour le vernissage, une nouvelle intuition : nous avons contacté Xavier Michel, le chanteur du groupe Aliose, qui avait effectué son mémoire de licence en histoire sur le théâtre pendant la Réforme. Belle rencontre. Il nous a donné un coup de main pour les textes, et Aliose est venu donner un concert pendant la soirée de vernissage, en pleine bise mais dans une lumière sublime. Notre collectif d’historien a réussi à faire paraître pour cette même soirée l’ouvrage issu de l’exposition aux Archives «Côté chaire, côté rue. L’impact de la Réforme sur la vie quotidienne à Genève (1517-1617)», aux éditions La Baconnière.

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Nos 17 panneaux ont été exposés pendant un mois et nous avons proposé quatre visites guidées. Ainsi, j’ai eu le plaisir, la jubilation même, de parler archives et Réforme en plein air devant un public parfois en maillot de bain, et je n’en reviens jamais mais la magie opère à chaque coup.

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On peut transmettre notre passion pour les documents anciens partout (il faut dire qu’à Genève nous avons des sources exceptionnelles et exceptionnellement complètes car elles n’ont subi aucune destruction, mais je ne vais pas vous saouler ici pendant trois pages sur ces documents d’exception).

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Photo: Jean Stern

Même une fois, un orage a éclaté au milieu de la visite, alors on l’a continuée dans la cabane à fondue, sans support, sans photos, sans rien, et rien suffisait, et les Bains nous ont servi une fondue que nous avons mangée ensemble, personne ne se connaissait, mais on a parlé une bonne partie de la soirée.

Je suis archiviste et j’aime mon métier, je vous l’ai déjà dit ?

Un hackathon sans écran, c’est aussi ça, Open Geneva. Un temps pour se connecter, un temps pour se déconnecter. Spiritualité et gospel

par Anouk Dunant Gonzenbach

Les hackathons, j’étais enthousiaste, puis j’ai eu un moment de doute, puis une grande bouffée d’espérance, voir mes deux billets précédents. En tant qu’archiviste au chignon déstructuré, on ne peut pas passer à côté, et plus que cela, c’est même bien de ne pas rester coté mais de participer. A la réflexion, au partage de jeux de données, à l’échange d’expérience, sous quelque forme que ce soit. Et d’être en lien avec ce festival qui a lieu chaque année à Genève en avril, Open Geneva. Open Geneva ?

Open Geneva, je les cite, a pour but de promouvoir l’innovation ouverte dans un esprit de partage des connaissances pour le bien commun. Les domaines d’innovation ouverte particulièrement visés sont les arts, les sciences, les innovations technologiques et sociales, sur le territoire du bassin de vie lémanique.

Open Geneva été créé en 2015 par le Geneva Creativity Center pour promouvoir l’innovation ouverte afin d’améliorer la qualité de vie à Genève. Lors de la première édition, plusieurs équipes d’étudiants ont travaillé durant deux week-end sur des projets scientifiques et des innovations sociales et techniques liées à l’énergie, la santé, la mobilité. L’édition 2016 a élargi le profil de ses participants et s’est concentrée sur la santé, en collaboration étroite avec les  Hôpitaux Universitaires de Genève.

En 2017, Open Geneva est devenu un Festival de Hackathons et plus de 21 initiatives ont vu le jour, impliquant des écoles et centres de recherches, administrations et entreprises, structures publiques et privées. En 2018, ça a continué, plus de 30 hackathons ont eu lieu à Genève du 9 au 15 avril.

Cette année, les Archives d’Etat de Genève n’ont pas participé à un hackathon mais ont organisé quelques jours auparavant, dans le cadre du festival Histoire et Cité, le 23 mars 2018, une table ronde intitulée : « Le rêve numérique face aux sources archivistiques », lors de laquelle il nous a paru important d’aborder les questions suivantes : Comment mettre en œuvre les beaux principes d’accès aux documents que défendent les institutions d’archives? Quelles sont les ressources à disposition? Que faire avec la masse des images numérisées? Il s’agissait de questionner l’écart entre les perspectives offertes par le progrès numérique et la réalité matérielle des centres d’archives. Les intervenants suivants ont pris la parole, Jacques Berchtold (directeur de la Fondation Bodmer),  Pierre Flückiger (Archiviste d’Etat), François Grey (professeur à l’Université de Genève),  Lorenzo Tomasin (professeur à l’Université de Lausanne), sous la modération de Enrico Natale (directeur de Infoclio.ch) .

Mais là, il n’est pas que questions d’archives. De liens en discussions avec les organisateurs d’Open Geneva, de réunions préparatoires entre geeks, universitaires, professeurs, chercheurs et humanistes numériques en échanges passionnés fut une fois abordée un matin de cet hiver qui n’en finissait pas la constatation inéluctable du temps à disposition, de la numérisation de masse face à la période incompressible nécessaire à l’analyse des données, de la fuite en avant, de l’accélération de tout, de notre perplexité, de l’avenir, bref quasi du sens de la vie.

Nous nous sommes tous retrouvés autour de la table d’une salle de réunion en haut de la tour de la RTS en train de débattre de ce problème de société et quelqu’un a presque hurlé, en fait, il faut un hackathon yoga. Un stop. Un recentrage. Et pourquoi pas de la spiritualité là au milieu ? Nous avons tous pris cela très au sérieux. Nous nous sommes arrêtés. Oui, que de sens à proposer un tel atelier.

En face de l’Université, il y a un temple. Au sein de l’Université, des aumôniers. Alors,

Et si on mettait de la spiritualité dans le numérique ? Un temps pour se connecter, et un temps pour se déconnecter. Le chant gospel comme reconnexion avec soi-même et les autres.

Et ça a lieu. Un atelier sans écran, la connexion avec soi-même et les autres.

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Deux heures de chant entre plusieurs hackathons, des tas de notes notes parmi des tonnes de bits, laisser courir les doigts sur le piano, suivre la partition et laisser le clavier, transdisciplinarité à plusieurs voix, let it shine.

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Ce moment a toute sa place ici. Un grand sens.

Et de nouvelles connexions. Je continue à croire aux hackahtons, sous toutes les formes que ce soit, parce que c’est ouvert. Comme les données. Comme les gens.

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Restitution des posters lors du hackshow du dimanche au nouveau campus HEAD

Records in Context, nouvelle mouture des normes de description archivistique du Conseil International des Archives. En théorie et en pratique

Retour sur la séance du forum des archivistes genevois par Emmanuel Ducry et Anouk Dunant Gonzenbach

Le forum des archivistes genevois a présenté le 11 septembre 2017 une séance consacrée à la norme « Records in Context » (RIC). Dans une première partie, Jean-Daniel Zeller a rappelé les principes de cette norme.

Records in Context – RIC

RIC est une nouvelle norme archivistique regroupant les normes ISAD-G, ISAAR, ISAF et ISDIAH.

Elle émane du groupe d’experts EGAD (Expert Group on Archival Description), mandaté en 2012 par le comité international des archives (ICA) pour fusionner ces quatre normes.  Pour rappel :

– ISAD-G (General International Standard Archival Description) a pour objet la description des fonds;
– ISAAR (CPF) (International Standard Archival Authority Records-Corporate Bodies, Persons, and Families) a pour objet la description des producteurs;
– ISDF (International Standard for Describing Functions) a pour objet la description des fonctions;
– ISDIAH (International Standard for Describing Institutions with Archival Holdings) a pour objet la description des services conservant les fonds.

La norme qui a résulté des travaux de l’EGAD porte le nom de Records in Context (RiC).

Deux éléments se cachent sous ce terme:
– un modèle conceptuel (la norme) : Record in Context Conceptual Model (RiC-CM),
– une ontologie : Record in Context Ontology (RiC-O), à savoir la grammaire permettant de mettre en pratique le modèle conceptuel.

On peut relever que le travail sur une ontologie montre d’emblée que les réflexions du groupe se placent dans le contexte du web sémantique.

Le groupe EGAD a constaté que si ISAD-G a eu une profonde influence sur la profession au niveau international et qu’ISAAR a connu quelques utilisations ici et là, ISDF et ISDIAH n’ont quant à eux eu aucun écho ou presque. Par conséquent, la manière d’organiser les fonds selon une structure tectonique (fonds, série, sous-série, sous-sous-série, etc.) respectant le principe de provenance reste au cœur du modèle. Ainsi, l’on retrouve dans RiC l’ensemble d’ISAD complété par des éléments provenant d’SAAR, ISDF et ISDIAH.

Toutefois, si l’on y retrouve l’organisation hiérarchique d’ISAD, elle est étendue sous forme d’un réseau. Un élément d’un fonds peut être lié à un autre fonds, une fonction, un producteur, un utilisateur à des droits , et pas forcément le même que celui de l’élément d’à côté. Ce qui veut dire que le modèle permet de rester à une stricte description du type ISAD pour assurer la compatibilité avec l’existant (il faudra cependant traduire les anciens fichiers ISAD dans le nouveaux langage de description), ou de l’enrichir et de le développer pour le faire évoluer vers le réseau.

On trouve dans RIC la volonté de se mettre en phase avec les professions qui nous entourent et que cette norme soit utilisable par les archivistes et les Record Manager, une collaboration rendue de plus en plus nécessaire par l’archivage électronique. Les exigences de l’archivage électronique sont donc aussi un élément fondamental pris en compte dans cette révision. On trouve également la volonté de faciliter l’interface avec les normes existant dans les autres institutions patrimoniales telles que les bibliothèques ou les musées de façon à faciliter les échanges de données, les développements informatiques, etc. S’il n’est pas possible d’être totalement cohérent avec l’univers des bibliothécaires (FRBR) qui utilise une autre logique, il y a des éléments, comme les descriptions d’auteurs, qu’il est possible de partager.

Enfin, si les RiC sont prévus pour gérer la masse de données issues de l’archivage électronique, ils sont aussi pensés pour pouvoir être utilisés pour des descriptions très détaillées d’une pièce ou des archives d’un individu. Par-là, il y a une volonté d’ouvrir la norme vers les utilisateurs des archives pour des utilisations autres que proprement archivistiques.

En résumé il y a une volonté d’intégrer l’ensemble des normes archivistiques existantes et de faciliter la connexion de cette norme avec des contextes d’utilisation et des normes voisines qui peuvent être utilisées dans les musées, les bibliothèques ou par les chercheurs.

Actuellement, la norme RIC est un draft en consultation; l’ontologie qui permettra son utilisation n’est pas terminée.

Le Matterhorn RDF Data Model : implémentation des modèles d’information OAIS et RiC dans le cadre des technologies sémantiques

La seconde partie de la séance a été consacrée à la présentation par Alain Dubois, Archiviste d’Etat du canton du Valais et Tobias Wildi, Direction de Docuteam, de la transformation de leur Matterhorn Mets Profile dans une forme adaptée au web sémantique, le Matterhorn RDF Data Motel. Une forme parallèle au RIC en somme, puisque ce dernier n’est pas encore finalisé. (Le Matterhon Mets Profile est un modèle de boîte électronique qui a pour principal intérêt d’être basé sur un emboîtement de modèle de métadonnée (METS + PREMIS + ISAD) souvent utilisé au niveau international.) Le powerpoint de la présentation se trouve ici.

Cette séance du forum a remporté un grand succès car, au-delà des frontières cantonales, elle a réuni une cinquantaine d’archivistes genevois, vaudois, neuchâtelois et bernois. On constate donc le grand intérêt pour notre profession à se tenir au courant des derniers développements. En revanche, on ressent une certaine peur devant la complexité de l’affaire.

Nous nous faisons la réflexion que si tout le monde sent que le web sémantique est l’avenir, il s’agit plus du web d’après-demain que de demain. En effet, le web de demain, c’est le Linked Open Data (LOD), ou web des données.

Open Geneva hackathon et données culturelles

par Anouk Dunant Gonzenbach

Les hackathons, je n’y croyais plus trop, sentiment sans doute inversement proportionnel aux nombres de mes cheveux blancs. Ce blog alliant billets sur des données techniques, cris du cœur et comptes-rendus, mélangeons ici un peu le tout.

Je n’y croyais plus trop en pédalant à la montée sous la pluie direction l’entrée Pregny de l’ONU, transpirant d’autant plus qu’à la vérification d’identité mon enregistrement n’avait pas été reçu, tout cela pour aller présenter les choix de métadonnées et conditions d’accès retenus par les Archives d’Etat de Genève pour la mise en ligne de leurs images numérisées, lors de la première partie du Hackathon open libraries à la bibliothèque de l’ONU (qui lui-même est un pre-event du 3rd Swiss Open Cultural Data Hackathon  qui aura lieu à Lausanne en septembre prochain). Ok compliqué, moi non plus, je n’avais pas tout bien compris en arrivant.

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Une fois dedans et comme toujours, l’effet ONU est garanti, on se croit mileu des années 30 droit dans Belle du seigneur, le magistral roman d’Albert Cohen. Les hackathons, je n’y croyais toujours plus trop, mais franchement c’est toujours un immense plaisir de revoir les collègues, amis et connaissances. Une première partie d’exposés ponctuée par l’intervention de Rufus Pollock, le fondateur de l’open knowledge foundation, et ses « Wonderful » (même s’il me semble qu’il prêche des déjà-convaincus et qu’il n’y a rien de trop neuf mais bon).

Après la pause, présentation des idées liées aux jeux de données. Martin Grandjean (chercheur, historien, digital humanist et spécialiste des archives de la Société des Nations) propose le développement d’une application qui permettrait aux internautes de taguer les visages sur la collection de photos de la SDN, hébergée aujourd’hui sur un site obsolète. 4 jeunes étudiants d’Epitech, école de l’innovation et de l’expertise informatique à Lyon  se joignent à ce projet.

Et là, sans projet préconçu, une équipe idéale est constituée : un chercheur spécialiste et hyperfamilier du fonds de photos, les archivistes de l’ONU et ces 4 développeurs. Tout le monde se comprend au quart de tour.

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Je n’y croyais plus trop, à ces hackathons, mais là il se passe un truc. Un échange immédiat, sur la même longueur d’ondes, chacun avec sa spécialité. Quasi-transgénérationnel, en plus. Ça phosphore en live et ça se lit sur les visages. Juste pour la beauté de la chose. Un pur moment d’espérance, c’est ma lecture de l’instant.

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J’avoue que je ne suis pas présente les deux jours suivants, un samedi et un dimanche lors desquels 20 hackathons parallèles se déroulent en plusieurs lieux à Genève lors de ce Open geneva hackathon (sur les thèmes de la santé, des smart city, du social, etc.). Mais je vibre lorsque je lis que notre projet est sélectionné pour représenter le Geneva Open Libraries lors de la cérémonie de clôture qui rassemble ces fameux 20 hackatons parallèles, par un pitch de 3 minutes pour la préparation duquel on bénéficie d’un coaching professionnel.

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Trop bien. Et pour citer l’un des étudiants de l’Epitech, Adrien Bayles, »il n’y avait pas de jury pour départager les dernières équipes en lice, mais nous considérons tout de même que nous avons gagné, ne serait-ce que pour les contacts que nous avons noués et ajoutés à notre carnet d’adresse ».

Des étudiants remarquables et épatants, qui en plus veulent continuer le projet car ils ont été touchés par la passion des archivistes et chercheurs.

Je n’y croyais plus trop à ces hackathons? Quelle grave erreur! J’y crois pour tout, pour la technique, pour le développement, pour les échanges, pour la confiance, pour les contacts, pour les liens, pour l’avenir.

L’équipe

Martin Grandjean, Université de Lausanne, @GrandjeanMartin
Blandine Blukacz-Louisfert, Archives ONU
Colin Wells, Archives ONU
Maria Jose Lloret, Archives ONU
Adam Krim, Epitech Lyon
Louis Schneider, Epitech Lyon
Adrien Bayles, Epitech Lyon, @Ad_Bayles
Paul Varé, Epitech Lyon
Anouk Dunant Gonzenbach, Archives d’Etat de Genève, @noukdunant